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Persigny n’étaient plus ministres, mais trois ou quatre autres voulaient les suivre et on cherchait à les retenir. Je ne me charge pas d’ailleurs d’expliquer ce qui se fait, et encore moins de deviner ce qui se fera. On disait que le pied de Garibaldi n’allait pas trop bien. Que dites-vous des batailles de Hyde-Park ? Je regrette de n’avoir pas vu cela. Adieu, madame, veuillez agréer l’expression de tous mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMEE.


Cannes, 28 février 1863. Madame,

Je reçois ce matin une très aimable lettre de vous, sans lieu ni date, comme on décrit certains livres très rares dans les catalogues de vente. Je suppose que vous êtes à Paris, car vous appartenez à l’école mondaine qui passe dans les brouillards les plus beaux jours de l’année. Si vous voyiez nos champs couverts d’anémones, vous les trouveriez, je crois, encore plus beaux que le pavé de votre rue.

J’ai passé mon hiver assez douloureusement, respirant juste assez pour ne pas étouffer, attrapant chaque jour un rhume nouveau, et me guérissant de l’ancien. Si vous aviez pratiqué ce climat, madame, vous comprendriez la chose. Il fait très chaud depuis 10 heures jusqu’à 4 heures, ou plutôt, jusqu’au coucher du soleil. Cette chaleur et le grand air, et le parfum des bois de pins et des buissons de myrtes vous guérissent de vos maux et singulièrement de vos rhumes. On se met à dessiner, et on se laisse prendre au coucher du soleil, qui vous jette sur la tête un air froid et humide qui vous extermine. Aux charmes de la peinture que je pratique avec le succès que vous savez, je joins ceux de l’archery. Un médecin anglais m’a conseillé de tirer de l’arc pour donner du jeu et de la force aux muscles de ma poitrine. Je m’en trouve en effet assez bien. Je fais la guerre aux pommes de pin, et je suis devenu assez adroit pour en abattre beaucoup avec un arc chinois qui me donne des cors aux doigts des mains. Le soir, je varie mes plaisirs en écrivant la biographie d’un affreux drôle nommé Chmielnicki, hetman des Cosaques de l’Ukraine, vers le milieu du XVIIe siècle, qui paraît avoir, inventé la guerre des nationalités. Voyez comme je prends mes héros à contretemps. Ce grand homme voulait délivrer les Petits-Russiens, ou les Cosaques, ses compatriotes, du joug des Polonais, qui, dans ce temps-là, faisaient toutes les misères possibles aux paysans de leur pays. Aujourd’hui, à ce qu’il me semble, les Polonais ont repris faveur.