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le monde pour répandre ses découvertes et les donne gratis pro deo. Il tortille les branches d’un arbre fruitier et les abaisse vers la terre selon un certain angle, moyennant quoi il vient énormément de fruits. Semez deux radis : dès que les feuilles d’un de ces radis paraîtront, couchez-les vers la terre au moyen de deux petites pierres ; laissez l’autre radis tranquille. Trois jours après, vous trouverez le premier radis grossi du double de son confrère. La sœur de M. Fould a fait arranger son potager de Rocquencourt l’année dernière et elle a eu cette année une récolte surprenante. On fait en ce moment des expériences en grand dans les fermes de l’Empereur. M. Daniel a inventé aussi un petit instrument avec lequel vous grefferez quatre mille arbres en un jour. E questo e nulla. Il fait un poêle au milieu d’un champ, et ce champ se trouve fertilisé comme si on y avait apporté cent charettes de fumier. Et encore bien d’autres belles choses que je ne comprends pas, en ma qualité de Parisien, n’ayant jamais cultivé que du chiendent dans un pot pour mes chats. Quant à ce moyen d’augmenter le rapport des arbres en courbant leurs branches, je me suis rappelé qu’à Cannes, où on est bête et où l’on fait de la prose sans le savoir, on attache les branches des rosiers aux tiges voisines de cette manière. Je croyais que c’était pour empêcher les maraudeurs d’entrer dans les champs de roses, mais il paraît que cela a la plus grande influence sur le rapport des rosiers. Convenez, madame, que vous êtes un peu surprise de me trouver si savant. J’en suis moi-même étonné et je me hâte de vous transmettre le résumé de mes connaissances avant que je ne les oublie.

Edouard m’a écrit bien tristement et très philosophiquement au sujet de la guerre civile de son pays. Son gouvernement lui prend 21 pour 100 de son bien et son banquier 31, total : 52 pour 100, et je crains qu’il ne soit pas au bout du compte à payer. C’est son oncle qui commande les confédérés. Il me semble que de part et d’autre on se bat assez mal, mais qu’on se tue beaucoup. Ils me font penser à des singes qui ont volé un rasoir. On dit que l’Angleterre presse beaucoup la France d’intervenir et de reconnaître le Sud, mais je doute que les Yankees d’ailleurs aient assez de bon sens pour écouter des conseils. Ce qui gouverne dans le Nord à présent, c’est une espèce de gens qui, n’ayant rien à perdre, trouve l’état des choses très agréable et rempli d’émotion. Comme d’ailleurs ils sont braves, très coquins et plus qu’à demi sauvages, la guerre leur convient parfaitement, et je n’y vois pas de fin, car c’est un grand préjugé que de croire qu’on ait besoin d’argent pour se battre. Nous avons bien montré, dans la Révolution, que c’était un luxe inutile. D’autres nouvelles, je ne vous en dirai pas, sinon qu’hier soir M. Thouvenel et M. de