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Paris, 15 octobre 1862.

Madame,

Je pensais qu’il y avait bien longtemps que je n’avais eu de vos nouvelles, et je me disais qu’aussitôt sorti de mon lit je vous écrirais, lorsqu’on m’a apporté une lettre de vous. Elle me confirme dans cette résolution généreuse d’écrire, qu’il n’est pas toujours facile de mettre à exécution, surtout à Paris. J’y suis depuis fort peu de jours. Vous m’avez laissé, je crois, à Londres, dînant vingt-sept jours de suite en ville, délivrant des speeches et faisant des rapports sur les papiers peints. (J’en ai fait un supplémentaire pour annoncer à nos industriels que, s’ils ne se mettent pas à travailler sérieusement, les Anglais leur dameront le pion dans toutes les applications de l’art à l’industrie.) Toute cette prose dite et écrite, je suis parti pour Bagnères-de-Bigorre, en compagnie de mon ami, M. Panizzi, et j’ai pris des eaux, c’est-à-dire que je me suis baigné trente jours de suite et j’ai avalé soixante verres d’une eau chaude pas trop bonne. Cela m’a fait beaucoup de bien d’abord, puis beaucoup de mal, et je m’en suis revenu à Bordeaux assez mal en point. Après nous être restaurés quelques jours dans la capitale de la Gironde, nous sommes allés à Biarritz chez des hôtes très gracieux que je ne vous nommerai pas. Panizzi nous a quittés, et moi je suis resté jusqu’à la fin du séjour, ce qui m’a procuré un petit empoisonnement par le vert-de-gris, dont douze ou quinze personnes ont été plus ou moins atteintes. Je suis ici pour peu de jours. J’irai à Compiègne pour la fête de l’Impératrice, et aussitôt après je partirai pour Cannes. Voilà, madame, l’histoire très complète de mes pérégrinations. Je n’aime pas trop la Suisse, mais j’aime beaucoup le Tyrol, qui est aussi beau que la Suisse et qui a l’avantage de ne pas avoir de Suisses. Les femmes ont des bas verts et baisent la main des voyageurs qui leur donnent un trinkgeld. J’ai gardé un tendre souvenir des Tyroliennes, particulièrement d’une musicienne de la grosseur d’un éléphant, ayant le plus beau contralto du monde, qui me chantait toutes les gargouillades de son pays pendant mon dîner. Le seul inconvénient de tous ces beaux pays est qu’il y pleut trop.

J’ai entendu parler du tableau que vous dites. Il paraît que ce n’est pas un Raphaël et que cela ne vaut pas grand’chose. Le puff est poussé aujourd’hui aux dernières limites.

Puisque vous vous livrez à l’agriculture, madame, pourquoi ne faites-vous pas venir chez vous M. Daniel ? M. Daniel est un Hollandais, ami de l’empereur d’Autriche, qui fait des merveilles. Je l’ai rencontré cette année à Tarbes, chez M. Fould. Il court