Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/864

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dîner, on a épuisé tout ce qu’on avait à dire sur le droit du papier et sur M. Gladstone, et quand on rentre au salon, chacun prend un livre ou un journal et laisse son voisin libre d’en faire aillant. Après tout, je ne sais pas si cette manière d’être n’est pas la meilleure de toutes.

J’ai trouvé en Écosse comme en Angleterre la mode du volontairisme. Elle y est même portée beaucoup plus loin. Il y a des gens qui font quinze milles à pied par jour pour se donner le plaisir d’apprendre la charge en douze temps. Je m’attendais à trouver l’organisation des volontaires très aristocratique. Au contraire, il me semble qu’il y a tendance démocratique. Ainsi, les soldats nomment leurs officiers, comme autrefois dans notre garde nationale. En Écosse et dans beaucoup de comtés d’Angleterre, les grands propriétaires ont été nommés colonels, leurs intendans lieutenans, etc. Mais dans d’autres endroits, dans les villes manufacturières, il n’en a pas été de même. Comme on a la prétention de paraître une nation de soldats, il est question d’armer jusqu’aux ouvriers de Manchester et de Birmingham, et il ne manque pas de gens d’esprit pour dire des bêtises à ce sujet, comme, par exemple, lord Elcho qui prétend que les ouvriers, en passant par la discipline militaire, deviendront plus dociles et plus résignés. Pour moi, je ne doute pas que, si l’on met ce projet à exécution au premier Strike d’une ville manufacturière, on ne voie une émeute à la carabine remplacer les antiques émeutes à coups de poing. Mais cela n’arrivera pas encore tout de suite, et je crois même que pour quelque temps encore les volontaires seront un appui aux institutions de pays, tout de même que la garde nationale a été un appui pour Louis-Philippe. Ce sont des appuis auxquels il est prudent de ne pas trop se fier.

Que devenez-vous, madame ? Je vois par les journaux que le temps n’a pas été moins rigoureux pour vous qu’il ne l’est pour nous. Je crains bien que l’hiver ne soit rude pour les pauvres gens. Ici la récolte est à peu près perdue. Il est vrai qu’on n’a que de l’avoine et çà et là un peu d’orge. Il en est de même en Angleterre. Tous les blés étaient couchés quand je roulais sur la ligne de Londres à Edimbourg. Lorsque la pluie cesse pendant deux heures, il fait tant de vent que les chemins sont secs autour du lac et qu’on peut aller à la promenade. Je dessine quand je puis, mais je ne réussis guère. Le mérite des paysages d’Écosse c’est de changer d’effet à chaque minute. Les montagnes ne gardent pas un instant les mêmes teintes, et je passe mon temps à effacer ce que je viens de faire. Adieu, madame, je serai à Paris presque aussitôt que cette lettre. J’attends un