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compatriotes, il est extrêmement affirmatif et peu logique. Il fait des dissertations à perte de vue où il substitue des mots aux idées et embrouille tout ce dont il parle. Il est violemment antipapiste. Il se dit chrétien et est, je crois, panthéiste à son insu. Son galimatias m’amuse cependant, grâce à la partie historique où il y a de bonnes recherches. Il a retrouvé et traduit du copte et du grec des règlemens des premières communautés chrétiennes, faits vers le IIe siècle de notre ère, qui m’ont beaucoup intéressé. La prétention des protestans et surtout des Allemands, c’est que leurs croyances sont celles des premiers chrétiens. Ils font tout ce qu’ils peuvent pour concilier les textes avec la raison que le P. Canaye avait tant en horreur, mais je trouve qu’ils en usent bien lestement avec les textes. Je me suis fait donner autrefois des leçons de théologie par un chanoine de Saint-Thomas de Strasbourg, grand luthérien, qui me prouvait que saint Jean était arien.

Vous m’avez envoyé un très joli paysage qui représente, je pense, Cannes, telle que vous vous la figurez. C’est Cannes au XVe siècle. Les Cannais ont depuis longtemps quitté leur montagne et la protection du château pour s’étendre le long de la mer. C’est maintenant une rue d’une lieue de long bordée des fantaisies architecturales les plus grotesques qui puissent venir à l’imagination d’un Anglais. Ici les Anglais dominent. Ils ont acheté tous les jolis endroits et les ont gâtés avec des châteaux gothiques et des cottages baroques. Cannes a encore cette singularité qu’elle renferme une quantité d’églises dissidentes extraordinaire pour sa population. Nous avons une chapelle écossaise, une anglicane, une méthodiste, une protestante calviniste et une vaudoise, ce qui ne se trouve pas ailleurs, et ce qui m’a appris qu’il existait encore des vaudois. Elle est à côté de chez moi, et on me dit qu’il y a dans la partie montagneuse du département un certain nombre de villages vaudois, ce qui montre que les moyens de rigueur ne sont pas trop bons pour l’extirpation des hérésies.

J’ai appris que le P. Lacordaire était mon confrère. Je ne sais trop pour qui j’aurais voté si j’avais été à Paris, mais il me semble que, si j’avais l’honneur d’être moine et prédicateur, je ne serais pas académicien. Savez-vous qu’il va devenir bien difficile de trouver du gibier académique, et je pense souvent à la peine qu’on aura à me remplacer. Cependant je crains que la nécessité ne s’en fasse sentir bientôt. Je me sens saisi par la vieillesse. J’ai depuis quinze jours un rhumatisme à la hanche pour avoir dessiné dans une gorge avec un vent glacé sur le dos. Nel cuor più non mi sento bel fior di gioventù. Je me résigne, mais