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peuples et les races, par suite préparer l’unité morale du genre humain.

Regardez une sphère terrestre avec son lacis de chemins de fer aux mailles de plus en plus serrées, avec ses fils télégraphiques aériens ou sous-marins enroulés autour du monde, avec ses multiples lignes de navigation sillonnant les océans des deux hémisphères ; la planète Terre apparaît, pour la première fois dans l’histoire, comme un tout, dont toutes les parties se tiennent et sont volontairement reliées ensemble. Si, aux cieux qui nous enveloppent, il est, quelque part, en des astres voisins, des spectateurs invisibles qui suivent la Terre dans sa course silencieuse à travers les espaces, notre globe, encerclé d’un réseau de fils artificiels, se montre à eux, pour la première fois depuis la création originaire, comme la vivante demeure d’une race intelligente et unie. Or, cela est l’œuvre du capital, et l’œuvre de la finance, aussi bien que l’œuvre de la science. Ce gigantesque appareil de circulation, cette sorte de système nerveux, encore incomplet, dont le XIXe siècle a doté notre planète, le capital y a non moins de part que la vapeur et l’électricité ; car, sans lui, la vapeur et l’électricité seraient de stériles curiosités de laboratoire.

Le commerce aux pieds ailés a, de tout temps, été regardé comme le grand intermédiaire entre les peuples. Poètes et peintres l’ont, à l’envi, représenté nouant des liens entre les races et les nations. Cette allégorie serait peut-être plus vraie encore de la finance, du capital qui, après la science, est le grand agent de transformation des sociétés modernes. L’idée de la solidarité humaine que les rivalités nationales obscurcissent en vain de leur ombre passagère, la notion de la fraternité des peuples qui, tôt ou tard, sera une des idées directrices de l’humanité civilisée, la finance et la banque travaillent à la répandre ou à la fortifier.

A cet égard, qu’on nous pardonne la remarque, la finance et le commerce nous semblent supérieurs aux deux grandes puissances productrices, à l’agriculture et à l’industrie, deux grandes choses assurément, plus nobles peut-être en elles-mêmes, mais qui, ayant un champ moins large ou un objet plus limité, tendent parfois à replier les peuples sur eux-mêmes, à les parquer dans l’enceinte de leurs frontières, les disposant trop souvent à un nationalisme exclusif et leur conseillant de rehausser les barrières nationales. Tout au rebours, jusque dans leur égoïsme, la banque, la finance, tendent à élargir l’horizon des peuples et enseignent aux hommes à se donner la main par-dessus les frontières. L’air confiné n’est guère plus sain pour les peuples que pour les individus ; elles préparent les destinées futures de la civilisation,