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il nous faudra envisager les efforts des modernes pour s’affranchir de la tyrannie de l’Argent, examiner les moyens d’émancipation préconisés par ses ennemis attitrés, antisémites ou socialistes.


I

Quand on compare la finance à l’industrie, une chose frappe d’abord. Dans l’industrie, les sociétés par actions, les compagnies ont presque partout pris la première place, substituant de plus en plus les collectivités anonymes aux patrons individuels ; dans la finance, le premier rang reste encore à ces derniers. Ce n’est point, nous l’avons déjà remarqué[1], que les compagnies n’osent se risquer sur les sables mouvans de la finance ; loin de là, les banques anonymes ont ouvert dans nos capitales de massifs et vastes palais ; elles couvrent la province et l’étranger de succursales qui étendent leurs opérations sur les deux hémisphères. Partout, en France, en Belgique, en Allemagne, en Italie, en Autriche-Hongrie, en Russie, jusqu’en Angleterre et aux Etats-Unis, les nouveaux établissemens de crédit, les banques par actions ont, depuis une quarantaine d’années, pris un développement considérable. Ils n’ont pas cependant conquis la première place, ils ont beau, chaque jour, élargir le cercle de leurs affaires, chiffrer leurs opérations annuelles par milliards et leurs bénéfices par dizaines de millions ; ils ne sont pas parvenus à évincer les plus puissantes des grandes maisons de banque fondées au début du siècle. Prenez les pays les plus riches, les marchés les plus vivans ; les sociétés par actions ont généralement renoncé à la lutte contre les anciennes puissances financières. Satisfaites d’avoir conquis leur place au soleil, heureuses de s’être emparées presque entièrement de certaines branches d’affaires, de l’escompte du papier de commerce notamment, elles ne songent plus à disputer aux potentats du marché la lucrative royauté de la Bourse. Après quelques infructueuses tentatives de révolte contre la suprématie des anciennes dynasties de la finance, les sociétés par actions semblent presque partout s’être résignées à la primauté des puissances qu’elles n’ont pu renverser. Au lieu de s’obstiner à les détrôner, elles s’inclinent devant leur suzeraineté. Ce siècle, qui a brisé tant de sceptres, a épargné celui de la finance. Les plus fortement constituées ou les mieux dirigées des grandes maisons de banque en nom individuel ou collectif sont demeurées debout, dominant le

  1. Voyez la Revue du 15 février 1895.