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compensé, si, à défaut d’une subvention fixe, nous payions aux bateaux français ce qui leur est confié, sur la base réglementaire de 15 francs par kilo de lettres et 1 franc par kilo d’imprimés, le ministère français débourserait à peu près 2 millions et demi de francs chaque année, le dixième seulement des 25 millions alloués aux compagnies postales. Mais y aurait-il encore des compagnies postales françaises ? La situation des deux principales s’établit ainsi : les Messageries touchent 13 millions de subvention, et réalisent un bénéfice net de 3 millions ; les Transatlantiques reçoivent 10 millions et demi de l’Etat et distribuent à leurs actionnaires 1 600 000 francs de dividende. Il semble que, sans les subventions, nos deux compagnies se trouveraient l’une et l’autre en déficit de 10 millions par an.

Cette conclusion toutefois ne serait pas exacte, parce qu’avec le secours pécuniaire de l’Etat disparaîtrait aussi ce cahier des charges en 64 articles, dont chacun a une valeur, avantageuse à qui en jouit, onéreuse à qui la supporte. Quoique les Transatlantiques fussent investis jusqu’à l’an dernier, pour l’Algérie, du monopole des transports officiels ; quoiqu’ils fissent, en vertu de conventions anciennes, payer 30 francs au gouvernement ce qu’ils vendaient 8 et 10 francs aux particuliers, ils affirment avoir perdu, dans leurs services méditerranéens, le double des subventions qu’ils ont encaissées, par suite de leurs obligations contractuelles qui leur faisaient visiter périodiquement des ports où il n’y avait nul trafic. Jamais, disent-ils, ils n’ont été plus riches que depuis qu’ils ne sont plus favorisés ; parce qu’avec l’indépendance ils ont acquis le droit de n’exploiter que les bonnes lignes.

Seulement les bateaux français n’ont à redouter, de France en Algérie, aucune concurrence étrangère ; il en va tout autrement pour la navigation lointaine qui ne pourrait par elle-même se suffire. Dès lors que les puissances voisines, ostensiblement ou non, pensionnent leurs compagnies et leur permettent ainsi de consentir des tarifs de passagers et de marchandises en quelque sorte factices, la partie, pour des Français simples négocians, ne serait plus égale ; ils n’auraient qu’à baisser pavillon et à disparaître. Un passage de première classe, de Marseille à Nouméa, pour un parcours de 21 000 kilomètres, excédant la moitié du tour du globe, coûte 1875 francs, soit 9 centimes par kilomètre, logement et nourriture compris. Mais si, à cette somme, ne s’ajoutait pas un supplément prélevé sur la subvention, c’est-à-dire payé par l’Etat, la compagnie devrait demander au passager bien davantage.

Même avec l’aide de l’Etat les compagnies postales ont peine