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me donneroit dorénavant le Milanois joint au Montferrat je les reffuserois, que mon party est pris et que je ne désire que le retour des bonnes grâces de Sa Majesté[1]. » En effet, le 29 août suivant, Tessé signait solennellement, et comme un instrument nouveau, un traité qui n’était que la reproduction de la convention arrêtée à Pignerol, entre Groppel et lui, quelques mois auparavant. En particulier l’article relatif au mariage de la princesse de Savoie avec le duc de Bourgogne, ainsi que les stipulations relatives à la dot, ou plutôt à l’absence de dot, y étaient exactement reproduites. Victor-Amédée en était quitte pour promettre un fardel, et Louis XIV s’engageait en échange a la constitution d’un douaire. Par ce même traité Victor-Amédée obtenait une distinction que sa maison ambitionnait depuis longtemps et que Louis XIV, auquel il s’alliait, aurait eu mauvaise grâce à lui refuser : ses ambassadeurs seraient traités désormais en France comme ceux des têtes couronnées et le titre d’Altesse Royale lui serait donné à lui-même dans tous les actes publics. Quelques semaines après, intervenait un nouveau traité, auquel la France n’était pas partie directe, mais dont les négociations n’en avaient pas moins été suivies de près par Tessé et par le Roi lui-même. Ce traité, signé à Vigevano le 7 octobre 1696 entre les plénipotentiaires de l’empereur d’Autriche, du roi d’Espagne et du duc de Savoie, assurait la neutralité de l’Italie et l’évacuation immédiate de son territoire. C’était par l’entremise de Victor-Amédée que ce résultat était obtenu, et Tessé avait le droit de lui rappeler la prophétie qu’il lui faisait un jour que « lorsqu’il prendroit un party ferme et qu’il parleroit de même, il arriveroit qu’il se rendroit glorieusement l’arbitre de la paix générale[2]. »

Victor-Amédée avait peine à dissimuler sous un air de gravité digne la joie pétulante que lui causait l’heureuse transformation de ses affaires et la situation nouvelle qui lui était faite. « Je sais, écrivait Tessé au Roi[3], que dans son petit particulier, quand il n’est vu que de ses valets, il saute vis-à-vis de son miroir, se remercie de la grande affaire qu’il a faite, et gambade comme un homme auquel la joye donne des mouvemens involontaires qui se montrent naturellement quand on lâche la bride à l’humanité. » Plus mesurée, mais très vive encore était l’expression de son contentement dans une lettre qu’il adressait au pape Innocent XII pour lui annoncer la conclusion imminente de la

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 29 juillet 1696.
  2. Ibid.
  3. Dépêche citée par Camille Rousset, Histoire de Louvois, t. IV, p. 536.