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sûreté, en participant à l’Empereur les puissantes raisons qui la convient à songer à une paix particulière, devant que de le faire à son insçeu. » C’est pour cela qu’elle avait dépêché à Vienne l’abbé Grimani, et Saint-Thomas n’y voyait point d’autre mal que la longueur dans laquelle on le traînait. Aussi Son Altesse Royale, n’ayant point de réponse catégorique, avait-elle peu de jours auparavant envoyé un extraordinaire pour presser l’Empereur, « et l’animer à mettre tout en ordre pour conclure et parvenir à son but, sans plus de dilation[1]. »

Il était bien vrai que Victor-Amédée, sentant sans doute son jeu découvert, avait dépêché un courrier extraordinaire à Vienne pour obtenir enfin réponse sur l’affaire du mariage de sa fille avec le roi des Romains. Mais la réponse que le courrier lui apportait était loin de répondre à son désir. C’était une lettre autographe de l’empereur Léopold[2] écrite en italien all’ serenissimo Duca, signore cugino mio amatissimo. « J’ai su beaucoup de gré à Votre Altesse, lui disait-il en substance dans cette lettre, du désir qu’elle m’a fait témoigner par l’abbé Grimani de voir sa fille unie en mariage au roi mon fils. Mais, considérant la jeunesse de ces deux enfans, il ne me paraît pas possible d’en arriver quant à présent à quelque détermination arrêtée. J’espère qu’en son temps la Providence divine voudra bien accorder ces bonnes dispositions de nos âmes, et j’assure Votre Altesse que je tiendrai toujours la susdite princesse en estime particulière. J’ai voulu profiter du retour de l’abbé Grimani pour assurer Votre Altesse de ces sentimens, en même temps que la remercier de son zèle ardent (vivo zelo) pour la cause commune. »

Quel dépit ce refus déguisé fit naître dans l’âme d’un prince orgueilleux comme Victor-Amédée, il est assez aisé de se l’imaginer. Son zèle ardent ne devait pas résister à cette épreuve. Aussi s’empressait-il de reprendre avec la France le cours des négociations qu’il traînait volontairement en longueur depuis un an. Pour y parvenir, il employait un moyen adroit. Impériaux, Espagnols et Savoyards réunis venaient de mettre le siège devant Casai. Cette place importante, que Louis XIV avait cru habile d’acheter au duc de Mantoue, devenait pour lui un embarras, par l’impossibilité où il se trouvait de la secourir. Victor-Amédée s’entremit. Il proposa qu’après un semblant de défense, une chamade fût battue et la place remise, démantelée, non pas à l’Empereur ni au roi d’Espagne, mais au duc de Mantoue, son ancien propriétaire. Tessé fut encore l’intermédiaire de cette négociation singulière, au moyen de laquelle Victor-Amédée obtenait, malgré cinq années

  1. Arch. Turin. Saint-Thomas à Tessé, 1er avril 1691.
  2. L’original de cette lettre est au musée des Archives de Turin.