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de la navigation tournant au profit du commerce universel.

Sous Louis XIV il en coûtait environ 200 francs de notre monnaie, en tenant compte du pouvoir de l’argent, pour porter 100 kilos de soie de Messine à Marseille ; aujourd’hui, d’un port chinois à Marseille, les Messageries pour 25 francs transportent un quintal de la même marchandise. De Bilbao à Nantes, au temps de Colbert, la laine espagnole payait 410 francs par 1 000 kilos. La même quantité de laine est maintenant véhiculée d’Australie à Liverpool pour 20 francs et parfois pour 15.

Le fret, de Marseille à Constantinople, était encore il y a quarante-quatre ans, avant la guerre de Crimée, de 200 francs la tonne. Il n’y a plus de distance au monde pour laquelle on paie un prix semblable ; à moins qu’il ne s’agisse d’objets exceptionnels, le fret le plus cher est de 50 à 60 francs. De l’Amérique du Sud à Bordeaux, le tarif moyen des Chargeurs réunis ressort à un dixième de centime par tonne et par kilomètre ; et l’on a vu le prix du port de Calcutta à Londres tomber, en 1892, à 6 fr. 25 les 1 000 kilos ; exactement ce que coûte à l’intérieur de Paris, le camionnage des marchandises de la gare d’arrivée au domicile du destinataire. Le prix des transports maritimes n’obéit en effet à aucune règle. On vend et on achète du fret, aux bourses spéciales de Londres et de New-York, suivant les oscillations très brusques résultant de l’offre et de la demande. Aucune puissance, aucune compagnie ! organisée, ne peuvent prévaloir contre la rivalité des libres cargo-boats, qui, semblables aux fiacres maraudeurs des grandes villes, se promènent de-ci de-là sur les mers, en quête de fret, chargeant où ils peuvent. Si la clientèle donne quelque part, le télégraphe au loin leur fait signe, et ils viennent à quai, ainsi qu’au geste du passant le cocher flâneur se range le long du trottoir. En quarante-huit heures ils ont fait disparaître dans leurs flancs 2 000 tonnes de marchandises, calées, arrimées, rangées aussi bien que du linge dans une malle ; et voilà que déjà leur panache de grosse fumée noire disparaît à l’horizon. Ainsi les prix s’équilibrent, d’une mer à l’autre, comme les flots.

Seules les compagnies subventionnées ne sont pas libres ; leur marche est tellement ordonnée et précise que souvent le commandant des Messageries on des Transatlantiques est, à son grand désespoir, obligé de quitter une escale où les colis abondent, sans avoir le temps de les prendre ; parce que l’inflexible agent des postes lui signifie poliment que l’heure est venue de repartir. Les arrêts sont si brefs que parfois ces bateaux n’ont pu même décharger la totalité de leur cargaison au point où elle est attendue