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Si du moins son fils, après lui, pouvait continuer son œuvre, d’une main plus ferme et plus sûre, s’il pouvait réussir à rendre l’humanité plus heureuse ! « Mon fils, lui dit-il aux dernières lignes de son journal, je t’impose là une charge très lourde. Je t’ai déjà imposé la charge de la vie, et voici maintenant, peut-être, que mon amour même va devenir une charge pour toi. S’il en est ainsi, pardonne-moi, Xaverius, pardonne-moi à cause de ce que tu liras dans ces feuilles jaunies, de ce que tu y liras de ma souffrance, et de mon remords, et de mon ignorance, et de mes recherches, et de mes espoirs, et, hélas ! de mon impuissance à rien trouver et à rien produire. Et maintenant viens près de moi, et dis-moi que tu m’aimes. Jette tes bras autour de mon cou, et dis-moi que tu m’aimes. Les enfans pardonnent si rarement à leurs parens que je me sens tout anxieux devant toi… Xaverius, Xaverius, quand tu liras ces feuilles, mon enfant, pardonne-moi ! »


Tel est, réduit à son sujet essentiel, ce curieux roman de M. Couperas. J’ai laissé de côté à dessein, dans mon analyse, deux aventures épisodiques, mais traitées avec une abondance de développement qui nuit, plus d’une fois, à l’unité du récit. Le premier de ces épisodes est même tout à fait malheureux. C’est l’histoire d’une jeune et belle princesse secrètement mariée au nihiliste Melena, et qui flirte avec un parent de l’empereur, jusqu’au jour où son mari la tue d’un coup de revolver : non point d’ailleurs par colère ni par jalousie, mais dans un accès de folie homicide. Histoire, comme l’on voit, romanesque et banale, et qui serait mieux à sa place dans un roman-feuilleton.

L’autre histoire, au contraire, est assez touchante. L’auteur en a fait une sorte de nouvelle, indépendante du reste du roman, et intercalée entre les deux parties principales sous le titre d’Intermezzo ; mais on comprend aussitôt qu’elle n’est pas sans jouer son rôle dans l’ensemble de l’œuvre. Elle sert à nous rappeler que, pour si hautes que soient les aspirations des princes, et si amères les souffrances qu’elles leur causent, ni ces aspirations ni ces souffrances ne les délivrent des tristesses ordinaires de la vie, et qu’il y a toujours en eux, sous le souverain, sous le philosophe, un homme pareil à chacun de nous. Et c’est encore, je crois, un des objets de cet Intermezzo d’accentuer la tendance pessimiste du roman, en nous montrant ce qui se cache de douleur et d’anxiété sous les apparences du bonheur le plus assuré. Cette jeune et belle impératrice Valérie, dont l’empereur, au prologue du livre, enviait la douce sérénité, elle porte, elle aussi, dans son cœur, une blessure ouverte et sanglante. Elle a aimé autrefois un prince qui l’aimait ; et c’est contre son gré, pour obéir à la raison d’État, qu’elle est devenue la femme d’Ottomar. Mais toujours, en secret, elle garde à son fiancé de jadis un tendre souvenir ; et lui, de son côté, vainement il a