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là sans doute ce que voulait dire Renan, c’est l’invasion de leurs produits, et c’est bien pire, car l’invasion des hommes jaunes stimulerait notre énergie, tandis que l’invasion de leurs produits nous décourage, nous mécontente et nous divise ; elle réduit à l’oisiveté et à la misère des armées entières d’ouvriers dont elle fera nécessairement des révoltés et qui seront les vraies armées, les irrésistibles armées de destruction, si on n’y prend garde. Je reviens à dessein sur ces perspectives très sombres : le moment est venu d’y penser, il faut aviser ; et comment prévenir le danger si on n’ose pas le regarder en face, le mesurer ? Ne craignons pas de le répéter, nous fermons les yeux ; c’est là jusqu’ici notre seul système de défense…

Nos concurrens profitent de tout, sans rien négliger ; et presque tout les favorise ; nous n’avons pour nous que notre habileté traditionnelle, notre goût, notre science, un long passé d’efforts accumulés, mais dont les résultats peuvent aujourd’hui rapidement s’acquérir grâce à la machine-outil qui a dépouillé l’ouvrier européen de l’inappréciable héritage d’un savoir professionnel, d’une force acquise au prix d’efforts suivis et répétés depuis des siècles ; oui, presque tout favorise nos concurrens.

Prenons les grèves : incontestablement elles ont toutes ou presque toutes pour cause première la concurrence. Le charbon du Japon fait baisser le charbon de Cardiff, comme le blé ou les cotonnades orientales font baisser le blé et les cotonnades d’Europe et du monde entier. Or les grèves provoquées par la production du Japon profitent à qui ? à la production du Japon. C’est le Japon qui sème et qui récolte. Tout profit pour lui, toute perte pour nous. En effet, tandis que la grève arrête la vente des produits européens, les produits japonais prennent leur place. Cela est fatal, inévitable, et d’ailleurs nettement constaté. Sur ce point encore l’unanimité des agens européens est absolue. La grève des mineurs anglais a ralenti l’importation des charbons de la métropole à Bombay, écrit notre consul dans cette ville, et en même temps les charbons japonais ont fait leur apparition.

Si du moins la Chine nous restait, comme on l’imagine, et nous offrait, avec ses 400 ou 500 millions d’habitans un inépuisable marché, nous serions rassurés ; mais il est à craindre que la Chine ne suive l’exemple du Japon et qu’elle n’ait la prétention de nous vendre, elle aussi, des produits similaires des nôtres, dès qu’elle le pourra, au lieu de nous les acheter. Les progrès de l’industrie nous réservent aussi tant de surprises ! notre colonie d’Indo-Chine elle-même ne se trouve-t-elle pas faire concurrence à notre agriculture avec un produit qui semblait pourtant bien inoffensif, le riz. A combien d’entre nous les importations de ce