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que nous ne consommons pas. » Cela voulait dire, si j’ai bien compris : elles nous fournissent des rails, des machines, des locomotives, des bateaux, des métiers, des outils, en un mot, des marchandises qui servent à développer la production japonaise et dont on n’aura plus besoin dans peu d’années, car elles nous apportent de véritables armes défensives à l’aide desquelles nous arrêterons rapidement l’importation des produits européens. Un autre Japonais faisait encore cette réflexion plus expressive peut-être : « Je ne comprends pas l’intérêt puéril qu’on attache en Europe à obtenir de nous des réductions de droits de douane sur des marchandises qui, bientôt, ne seront plus du tout importées au Japon !… »

Oui, le Japon a l’intention légitime et très louable de se suffire à lui-même, et ce qui était vrai la veille de la guerre l’est encore plus et beaucoup plus au lendemain de la victoire. Ou a pu mesurer ses progrès déjà, par ce qui précède ; mais ce n’est pas assez ; il faut lire, pour avoir des notions précises en même temps que des impressions plus vives, le rapport de notre consul général à Yokohama sur l’Exposition de Kioto ; il faut avoir suivi cet observateur attentif et clairvoyant dans ses visites à la galerie des Machines, aux pavillons de l’Industrie, de l’Agriculture. des Forêts, des Produits maritimes, des Beaux-Arts, des Postes et Télégraphes, des Charbonnages, etc., pour comprendre comme lui « avec quelle rapidité marche le Japon dans la voie qu’il s’est résolument tracée il y a vingt-cinq ans[1]. »

Quatre expositions déjà se sont succédé à Kioto depuis vingt ans. La première date de 1877, la seconde de 1881, la troisième de 1890, la dernière de 1895. Les progrès réalisés d’une exposition à l’autre sont tels qu’on peut se demander si on rêve en les constatant. Qu’est devenu le Japon légendaire de notre jeunesse, la terre privilégiée des chrysanthèmes et des azalées, patrie des fleurs rares et des chefs-d’œuvre raffinés ? L’énergie, l’ambition vivace de ses habitans sont en train d’en faire une usine.

Mais non, je calomnie les Japonais ; ils n’ont pas maltraité la nature qui les favorise ; ils ne nous empruntent que les moyens de tirer tout le parti possible des dons qu’elle leur prodigue, sans la gâter, assure-t-on…

« Au point de vue purement agricole, écrit M. Klobukowski, nous n’avons plus rien à apprendre aux Japonais. Ils se sont servis de nos machines, ils ont profité de toutes nos études, de notre expérience… Ils ont tiré de leur sol fertile un excellent parti, et

  1. Notre ministère du Commerce, — je signale cette innovation heureuse et hardie avec l’espoir qu’elle ne restera pas sans suite, — n’a pas craint de mettre en vente ces publications consulaires : c’est un progrès dans notre pays de routine, on l’ignore trop ; on peut les acheter à la librairie Paul Dupont pour quelques centimes.