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d’eux existant comme ordre ou comme classe et n’existant que comme ordre ou comme classe.

Aux Cortès d’Aragon et de Castille, la noblesse, le clergé et les villes représentées par des « procureurs » ; en Portugal, trois états ou trois ordres, clergé, noblesse et peuple, — de même qu’en France ; clergé, noblesse et bourgeoisie ou tiers état. En France, les villes ou certaines villes ne figurent, pas comme unités représentées (ainsi qu’en Angleterre, dans l’Empire, en Espagne) mais, avec les bailliages et sénéchaussées, elles forment des circonscriptions territoriales, et, par elles, le régime a racine dans le sol. Ordres ou états, villes, comtés, bourgs, ports, universités, ce sont toujours des groupes ; et, dans l’État national fondé sur les ordres, — comme dans l’État communal fondé sur les corporations, — il n’y a représentation que du groupe. L’individu n’est jamais représenté, pour cette raison péremptoire qu’on ne lui reconnaît point de vie politique ou sociale, et que ce n’est pas d’individus, mais de groupes que la société et la nation sont faites.

Et tous ces groupes sont des groupes fermés. On dit « fermés », quoique dans cette société même, si hiérarchisée et si peu mobile qu’elle soit, puissent se produire des déclassemens ; groupes fermés, en tout cas, dans la mesure où le passage d’un groupe à l’autre, l’accès au groupe supérieur est difficile et demeure exceptionnel. C’est contre une telle société, faite tout entière d’ordres, de classes, de corporations, tout entière faite de groupes et de groupes fermés, que la Révolution française s’est levée, et jamais révolution ne fut plus profondément sociale et politique, puisque, loin de se borner à un changement de prince ou de dynastie, ou même de régime, elle a changé jusqu’à la structure sociale et politique, brisant le groupe, et affranchissant, et couronnant l’individu.

Mais, la structure sociale et politique changée, c’est toute la vie sociale et nationale qui change ; et c’est, par conséquent, la représentation qui se transforme. Plus de privilèges, plus d’ordres, plus de corporations, plus de groupes ; donc plus de représentation de groupes. L’individu, comme unité sociale et politique ; et donc l’individu comme unité de représentation. En France d’abord, et puis, par rayonnement, dans les autres pays de l’Europe occidentale, là où, corporations ou ordres, État communal ou État national, on n’avait vu, auparavant, que des groupes représentés. Et sans doute, dans tel ou tel de ces pays, persisteront des survivances de l’antique représentation des groupes, ou même, par endroits, quelque chose en renaîtra : — survivances et