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est, dans la nation, comme une cellule, voisine de milliers de cellules semblables, qu’unit avec elle et entre elles tout le tissu des lois, des mœurs, des relations sociales ; qui prêtent de la vie à ce corps, pour partie formé d’elles, et qui en retirent de la vie, des milliers de fois plus qu’elles ne lui en ont donné. La politique, vue d’un peu haut, est donc la science de la vie des sociétés et l’art de diriger la vie sociale pour le plus grand bien de la société et de chacun de ses membres, l’art de porter à leur plus grande puissance et de tenir en un juste équilibre la vie de l’individu et celle de l’ensemble.

D’où il suit que, si la vie est la matière et l’objet de la politique, elle en est aussi la méthode, pour ainsi dire, ou le moyen ; et dans une nation où la vie est partout diffuse, qui ne vit pas uniquement par la tête, la règle de la pratique doit être : répartir l’action selon la vie ; faire dans l’État une place et fixer dans l’Etat sa place à tout ce qui vit individuellement ou collectivement : organiser l’Etat sur le suffrage organisé lui-même d’après tout ce qui est organique dans la nation.

Mais cette image de « vie » et d’ « organisme » appelle une réserve que de fréquens abus de langage rendent, à notre sens, indispensable. Ce n’est qu’une image, et lorsque au lieu de « fonctions » et d’ « organes », on parle, à propos de la société, de la nation et de l’Etat, de « machine » et de « rouages », ce n’est qu’une image encore. Et lorsque, combinant et confondant les deux séries, on annonce solennellement, de quelque tribune ou de quelque fauteuil, — ainsi que le faisait naguère un homme politique promu à une position éminente, — que l’on s’efforcera d’assurer le fonctionnement normal « des rouages de notre organisme », ce n’est encore qu’une image ou plutôt ce ne sont que des images… brouillées.

Organisme ou mécanisme, vie ou mouvement, il y a toujours là-dedans quelque dose de métaphore ; et c’est à quoi il n’est que prudent de prendre garde, si nous sommes d’instinct entraînés, comme par un espèce de vanité d’esprit, à faire étalage de termes empruntés aux vocabulaires techniques, et si les analogies que l’on s’est, avec plus ou moins de raison et plus ou moins de succès, ingénié à établir entre les sciences naturelles et les sciences sociales n’ont fait que nous y disposer davantage. J’aime à penser que Herbert Spencer, quand il a commencé à décrire les procédés d’intégration et de différenciation des sociétés, la croissance sociale, la structure sociale, les fonctions sociales, les métamorphoses sociales ; quand il a distingué dans le corps social des organes et des appareils d’organes, un appareil producteur, un