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l’authenticité de la tradition sera encore moins croyable que le récit de Tite-Live des premières années de Rome. Quiconque lira la Bible comme un livre ordinaire, sans croire a priori, n’y verra qu’une compilation très ancienne, remplie des défauts et des beautés de la littérature orientale. Le Nouveau Testament, à part la légende biographique, se distingue de tous les livres antiques par une admirable morale, présentée du côté pratique et s’adressant à tout le monde. C’est le résumé des meilleurs principes, jadis réservés par les philosophes grecs pour un petit nombre d’adeptes, maintenant mis à la portée de tous les hommes sans exception. Il me paraît évident qu’il n’y a pas de meilleure règle de conduite à suivre, quelque doute qu’on puisse avoir d’ailleurs sur l’origine du livre.

En toute occasion, il est extrêmement difficile d’acquérir une conviction, du moment qu’on n’a pas la foi et qu’on applique à tout les mêmes règles de critique. Malheureusement dès qu’on arrive à chercher le fond des choses, on se trouve presque aussitôt dépourvu de tout moyen de critique. Il est trop évident qu’il y a quelque chose en ce monde qui nous échappe et que nous ne pouvons pas comprendre. Si dans une autre planète il existe des êtres possédant six sens, il nous serait impossible, faute d’un sixième sens, de comprendre le leur, car pour le comprendre il faudrait l’avoir. Pour comprendre les choses surhumaines, il faudrait avoir une nature surhumaine. Nous sommes donc réduits, soit à nous contenter d’une explication, qui n’est en général qu’un mot incompréhensible, substitué à une idée incompréhensible, ou bien à demeurer dans le doute. On a écrit des milliers de volumes sur les propriétés de l’aiguille aimantée, mais depuis que l’aimant est connu, on n’a pas avancé d’une ligne dans la connaissance de la cause du phénomène. Si nous ne pouvons comprendre le plus simple des phénomènes que nous avons sous les yeux, pouvons-nous espérer de deviner des problèmes bien plus compliqués qu’il ne nous est pas même possible d’examiner ? On m’a donné à lire dernièrement un livre très curieux d’un astronome anglais sur les nébuleuses. Ce sont ces taches blanches qu’on voit dans le ciel par une nuit sereine. Lord Ross a construit le plus grand télescope connu avec lequel, au lieu d’une tache blanche, on aperçoit des myriades d’astres. Chacun de ces astres est un soleil, beaucoup plus gros que le nôtre, et probablement le contre d’un système. Au-delà de ces astres, il est probable qu’on en voit beaucoup d’autres, car il n’y a presque pas de place dans le ciel, où, avec un bon instrument, on n’aperçoive, soit des astres, soit des lueurs qui font présumer des astres. Il y en a quelques-uns dont la lumière met dix mille