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les horreurs des philosophes convaincus en 1793, contre-partie, aussi vraie de la Saint-Barthélémy en 1572. Si mon papier ne me faisait défaut, je vous en dirais bien d’autres, mais je n’ai de pince que pour vous prier d’excuser mon entêtement et vous offrir l’expression de tous mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMEE.


Je viens de retrouver un croquis que j’ai fait autrefois. Il ne tiendrait qu’à vous d’y voir une sainte Elisabeth changeant ses pains en roses, mais mon amour de la vérité m’oblige à vous avouer que c’est un portrait de la marquise de Ganges, celle que ses beaux-frères empoisonnèrent et assassinèrent assez mal au XVIIe siècle. Cela vient du couvent de Villeneuve près d’Avignon. Je vous le donnerai si cela peut vous être agréable. La susdite marquise peinte par Mignard est en habit de religieuse.

Je ne puis souffrir la princesse des Ursins, non plus que Mme de Maintenon. Je viens de lire les Mémoires de la princesse Daschkoff, qui n’apprennent rien et ne valent rien, c’est-à-dire qu’ils valent trente francs, grand dommage !

Paris, 5 septembre 1859.

Madame,

Je suis au contraire enchanté de vos opinions sur l’histoire et la vérité historique. Je n’aurais pas cru que vous allassiez si loin dans la bonne voie, Je ne puis m’empêcher seulement de trouver que vous tenez encore un peu trop aux illusions. Remarquez bien que l’histoire vraie ne démolit jamais un grand homme. Elle ne change pas en petit ce qui passait pour grand ; elle explique seulement. Henri IV, par exemple, que vous citez et que vous voulez qu’on respecte, sera toujours un des plus grands rois que nous ayons eus. Cependant on ne peut dire que ce fût un bon homme, ni surtout qu’il fût franc. Il reste un des plus habiles politiques, et un des hommes les plus spirituels de notre pays, et, de plus, ce qui est plus important, un de ceux qui ont le mieux compris et préparé les destinées de la France. Il y a en lui quelque chose de très séduisant ; c’est le caractère aventureux qu’il devait à sa nature gasconne et à son éducation. Il se mettait très souvent dans de très mauvais pas, sûr de s’en tirer ensuite à force d’esprit. N’avez-vous pas connu des gens de ce caractère ? Ce sont les plus aimables.

Je pars ce soir pour Tarbes, où je resterai une semaine. Je serai à Paris du 12 au 15, où j’espère que vous serez encore, et que nous pourrons faire une visite aux couronnes wisigothiques, si le cœur vous en dit. Cependant, pour le cas où vous ne feriez