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l’antiquité pour avoir mêlé le vrai et le faux. Puis il est d’une ignorance crasse. Dans un de ses romans il fait mourir Tilly après Gustave-Adolphe, etc.

Adieu, madame, j’ai été bien mouillé à la revue. C’était très beau. Rion de plus extraordinaire que les Kabyles ; rien de plus drôle que les zouaves défilant avec toutes sortes de bêtes, notamment un chien savant habillé qui marchait en tête avec évidemment la conscience de son importance et le sentiment le plus vif de l’honneur du corps. Il était curieux de voir toutes ces figures européennes de tant de teintes différentes passées uniformément à un même glacis, en opposition avec la teinte violet clair des turcos, teinte à laquelle ni la poudre ni le soleil ne peuvent rien ajouter. Adieu, madame, veuillez agréer l’expression de tous mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMEE.


30 août 1859.

Madame,

C’est hétéroclite que je suis, non pas étéro ni clyte. Cela veut dire en grec que je penche autrement, que je suis un substantif dont la déclinaison est irrégulière. Hélas ! que voulez-vous ? Je croyais avoir trouvé moyen de vous être agréable et de faire un compliment au catholicisme en disant qu’il avait dans son organisation un système de perfectionnement, et j’étais tout lier de ma comparaison avec la cour de cassation, qui vous indigne. Vous ai-je dit que les sectaires russes s’élevaient à vingt millions ? Il n’y en a que onze millions. Je vous soupçonne d’apporter un peu d’enthousiasme dans les chiffres. Mais vous en avez pour tout, et je vous aime et je vous en admire davantage. Comment se fait-il que vous soyez ce que vous êtes, étant née en France et ayant vécu dans le monde ? J’ai été enthousiaste, moi aussi, dans ma jeunesse, mais il m’est arrivé ce qui arriva à un chat que j’avais élevé dans la persuasion que le mal n’existait pas. Il ne connaissait que le bien. Il monta un jour sur les toits et revint avec la patte cassée, cent coups de griffes, et la robe déchirée. Depuis il fut prudent, méfiant et pessimiste, au demeurant un assez bon chat. Pour ma justification, je vous avouerai en outre qu’en vous parlant du chien Magenta, je cherchais à vous faire ma cour. Il me semblait que vous n’aimiez pas les grands côtés de ce régime. J’ai eu tort ; pardon, mais je voulais vous plaire, je m’y suis mal pris. Cependant ayez un peu d’orgueil de cet aveu. Je ne crois pas qu’il y ait maintenant trois personnes à qui je me soucie de plaire.