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avaient perdu le premier rang. En ce moment, quoique notre Touraine effectue le trajet en sept jours, la France n’occupe plus que la troisième place.

L’Angleterre détient ce que nos pères nommaient la « palme » et ce que nous appelons maintenant le « record », avec une vitesse de 41 kilomètres, correspondant à une traversée de cinq jours sept heures entre New-York et le port irlandais de Queenstown, où s’opère la livraison des dépêches. Cette marche forcée devient ordinaire et toutes les compagnies cherchent à s’en rapprocher. Le public y attache une importance, puérile si l’on veut, — puisqu’un gain de quelques heures ne représente la plupart du temps aucun avantage utilisable, — mais dont il faut tenir compte. Cette sorte de fascination exercée sur le voyageur par l’idée de la vitesse est telle, qu’on a vu plus d’une fois des Anglais perdre plusieurs jours à errer dans Broadway, pour attendre le Canard, plutôt que de profiter du départ immédiat d’un autre liner. Les paquebots allemands, au sortir de Hambourg, touchent en France ; accueillis, — un peu imprudemment disent quelques marins, — dans notre rade militaire de Cherbourg, ils viennent porter sur notre sol la concurrence, largement subventionnée, d’un jeune empire maritime. L’Angleterre est, de la part des Etats-Unis, l’objet d’une concurrence analogue à une heure de Londres, à Southampton.

Dans son beau rapport sur les congrès de Chicago, auxquels il assistait en qualité de commissaire français, le marquis de Chasseloup-Laubat a très bien mis en lumière les efforts tout nouveaux des Etats-Unis pour jouer un rôle sur l’Océan. « Lorsque le ministre Blaine, dit-il, commença à laisser voir ses visées sur l’Amérique du Sud, le moyen d’action nécessaire, la marine, manquait tout à fait au gouvernement. La flotte de guerre n’existait plus, la navigation marchande, sauf le cabotage, était tombée. » En effet, de 1860 à 1890, le pavillon américain avait presque totalement disparu des mers. Les Etats-Unis importaient en 1858, sur des bateaux de leur nationalité, les trois quarts des marchandises qui pénétraient dans leurs ports, — proportion très avantageuse et si rare que l’Angleterre elle-même ne l’atteint pas. — En 1870, le tiers seulement du trafic national se faisait sous le drapeau étoile ; enfin la part des vaisseaux américains était tombée, en 1890, au dixième du mouvement commercial des États-Unis. Les neuf autres dixièmes entraient ou sortaient sur des navires étrangers, anglais pour la plupart. La cherté de la main-d’œuvre et des matières premières, due au régime protectionniste, avait amené ce résultat. Or l’institution de ce régime prohibitif, c’avait