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en Italie, au lendemain même de l’éclatante victoire de Ravenne, semblait tenir du prodige, du miracle, faisait penser Paris de Grassis à l’Ange du Seigneur qui vint détruire en une nuit tout le camp de Sennachérib afin de préserver la ville sainte des « flèches, retranchemens et terrasses des Assyriens. » Le Journal intime du maître des cérémonies à la cour vaticane est ici un témoignage précieux, plus probant, à mon sentiment, que mainte chronique et maint panégyrique de l’époque, parce qu’il est tout à fait spontané et naïf. Le greffier curial qui, jusque-là, avait uniquement pris note des réceptions, pompes et solennités officielles et avait laissé passer sous silence les faits les plus graves de l’histoire ; le pédant insipide qui ne connaissait d’autres questions au monde que celles des chapes, des rochets et du nombre de croix et de cierges requis pour les divers genres des funzioni ; ce scribe du protocole et de l’inventaire change tout à coup de style, d’allure et de nature dès qu’il entame le chapitre De Gallis expulsis. Il exulte, il s’exalte, il déborde ; il pousse des cris de joie sauvage à chaque revers de ces Gaulois « barbares, profanateurs du temple, vrai fléau de la chrétienté » ; il ne tarit pas sur les soulèvemens, fêtes et illuminations qui ont partout marqué la retraite des soldats de Gaston. Car il va sans dire que sous le coup de tant de désastres, la France perdit en un tour de main tous ses partisans dans la péninsule ; que Pologne chassa encore une fois ses Bentivoli, après les avoir déjà tant de fois chassés et repris ; que Milan acclama à nouveau le nom de Sforza, naguère si abhorré, et Gênes celui de Fregoso, jadis si honni. « Et est la nature de ce peuple d’Italie de ainsi complaire aux plus forts », a dit Commynes, le grand connaisseur des hommes et des nations, mort précisément l’année précédente. Il n’est pas jusqu’au duc de Ferrare qui ne songeât maintenant à complaire au plus fort ; muni d’un sauf-conduit, il alla (23 juin) demander son absolution à Rome.

La présence inopinée (4 juillet) dans la ville éternelle de l’excommunié de 1510, ne laissa pas d’y produire une vive sensation et de tenir la curiosité en haleine. On savait qu’Alphonse d’Esté était un des plus vaillans capitaines de l’époque, — on allait même jusqu’à lui attribuer tout l’honneur de la journée de Ravenne[1], — mais on savait aussi que personne n’avait fait

  1. Dans la célèbre strophe sur la bataille de Ravenne (Orlando furioso, III, 55), l’Arioste ne fait pas même mention du nom de Gaston de Foix ; toute la victoire est attribuée uniquement à Alphonse d’Esté :
    Costui sarà, col senno e colla lancia,
    Ch’avrà l’onor’, nei campi di Romagna,
    D’aver dato all’ esercito di Francia
    La gran vittoria contra Giulio e Spagna.
    Nuoteranno i destrier fin alla pancia
    Net sangue uman per tutta la campagna :
    Ch’ a seppellire il popol verrà manco
    Tedesco, Ispano, Greco, Italo e Franco.