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Point n’est besoin d’ajouter que, depuis son retour à Rome, le Rovere pense souvent aussi à ses collections et entreprises artistiques. Il s’occupe de l’installation de ses anticaglie dans le ravissant cortile que leur a construit Bramante. « Le pape, — dit une lettre de Grossino du 12 juillet, — a fait placer au Belvédère un Apollon qui est estimé aussi beau que le Laocoonte[1] » ; plus tard, il y fait encore transporter le Tibre (aujourd’hui au Louvre) et la Cléopâtre (Ariane). Pendant ce même mois de juillet, il pose pour son portrait dans la fresque des Décrétales ; sous la date du 16 août, la correspondance de Grossino parle déjà incidemment de « la chambre où Sa Sainteté est dépeinte par Raphaël al natural con la barba. » Il va voir les travaux de Michel-Ange dans la Sixtine et obtient de l’artiste qu’à l’approche de la grande fête de la Vierge la chapelle sera temporairement dégagée des échafaudages et rendue au culte. La veille et le jour de l’Assomption, il vient y entendre vêpres et messe et jouir de l’ensemble des peintures de la voûte[2].

Deux jours après (17 août), il est à toute extrémité : il a attrapé une fièvre pernicieuse dans une dernière chasse à Ostie, et on le croit perdu. Le bruit de sa mort se répand dans la ville, et alors a lieu une scène étrange, fantastique, renouvelée des temps de Rienzi et de Porcaro. Les héritiers des grands noms féodaux de Colonna, Orsini, Cesarini, Savelli, etc., montent au Capitole et appellent le peuple [romain à reprendre ses antiques libertés. Dans une harangue passionnée et bien caractéristique de l’esprit qui animait cette revendication hypocrite des droits populaires, le jeune Pompeo Colonna, évêque de Rieti, abbé de Subiaco et de Grotta Ferrata[3], retrace le régime honteux sous lequel est tombée la grande république qui jadis a dominé le monde : « Régime abject, comparable seulement à celui qui existe en Égypte, où la dignité du sultan ni les grades des Mammalucchi ne sont pas héréditaires non plus. Mais le sultan du Caire et ses mameluks sont-ils au moins gens braves et fiers,

  1. Ceci paraît en contradiction avec Albertini (Mirabilia) qui déjà, en 1509, plaçait l’Apollon au Vatican. Ne faudrait-il pas distinguer ici entre le Vatican et le Belvédère ? — Sur le Tiberinus (Tibre) et la Chleopatra, Grossino donne de très curieux détails dans ses lettres des mois de janvier et février 1512. (Luzio, loc. cit., p. 435 et la note.)
  2. Pontifex in Vigilia et Die Gloriossæ Virginis Assumptæ voluit interesse Vesperis et Missæ in majori Capella Palatina per Sacristam celebratis festivitate Nam ea capella Assumptioni prœdictæ dicata est, et ad eam Pontifex venit, vel ut picturas novas ibidem noviter detectas videret, vel quia sic ex devotione ductus fuerit ; Paris de Grassis, 15 août 1511, II, p. 221. (Je cite toujours d’après le manuscrit de la Bibliothèque nationale à Rome.)
  3. C’est le même Pompeo Colonna qui plus tard, comme cardinal, préluda par le guet-apens du 20 septembre 1526 au grand sac de Rome. J’emprunte son discours capitolin à Guichardin, Storia, X, 3.