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de l’époque. Dans la grande brouille de l’artiste avec le Rovere en 1506, le cardinal de Pavie apparaît en médiateur zélé, ardent à amener une réconciliation et se portant garant des bonnes dispositions du souverain pontife. C’est lui aussi qui signe, au nom de Jules II, le contrat pour les peintures de la voûte Sixtine. On ne saurait assez regretter la perte de la correspondance qu’Alidosi a entretenue avec Buonarroti dans des circonstances diverses : nous ne possédons qu’une seule lettre, datée de Ravenne 3 mai 1510 (un an avant l’assassinat), et écrite sur un ton de déférence et de cordialité comme n’en usaient guère alors les puissans de ce monde envers les artistes. « Ayant construit à la Magliana, à la satisfaction de Sa Sainteté, un grand édifice avec une petite chapelle, je voudrais compenser l’exiguïté de ladite capelletta par l’excellence de ses peintures, et notamment d’un baptême du Christ[1] de votre main, à laquelle nulle autre ne peut être comparée. Je crois pouvoir compter sur vous, comme vous pouvez compter sur moi en toute occurrence. Je sais que vous êtes très occupé ; néanmoins je vous prie et vous conjure, si jamais vous avez tenu à me faire quelque chose d’agréable, de faire ces deux petites figures en fresque (le Christ et Saint Jean), que j’estimerai beaucoup plus que tout l’édifice et dont je vous aurai une obligation éternelle… » La lettre porte sur le verso l’adresse emphatique : « A Michel-Angelo, prince de la peinture et de l’art statuaire. »

Cette construction d’Alidosi à la Magliana[2] existe encore aujourd’hui, à l’état de triste ruine il est vrai, mais dans la ruine, on démêle sans peine le plan général de l’architecture due probablement à Giuliano da San-Gallo. La cour rectangulaire, précédée d’un fossé et entourée de murailles à créneaux guelfes, est antérieure à l’époque de Jules II et remonte au pontificat d’Innocent VIII : la porte monumentale de la cour une fois franchie, on se trouve devant « le grand édifice » dont parle la lettre à Michel-Ange. Au rez-de-chaussée, en face, cinq arcades ornées de pilastres appliqués donnent accès à un spacieux vestibule ; au-dessus, au premier étage, s’élève une vaste et belle salle, dont les parois étaient décorées de fresques représentant Apollon avec les Muses. L’aile gauche du bâtiment rejoint au bout un casino primitif érigé par Innocent VIII et reconnaissable à ses piliers octogones ; dans l’angle formé par cette aile et le corps du logis,

  1. La chapelle était sous l’invocation de saint Jean-Baptiste. La lettre d’Alidosi a été publiée par Danielli, Carte Michelangiolesche inédite (Milan, 1865, in-4o), p. 14.
  2. A six kilomètres de Rome, première station sur la ligne ferrée Rome-Civita-Vecchia.