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propos qu’en une vulgaire question d’argent, identique à celle-ci, gît actuellement le secret de la suprématie britannique.

Les Espagnols, tant qu’ils conservèrent ce monopole transatlantique, en usaient modestement : une fois par an, au mois de mars, leurs galions partaient en bande pour l’Amérique du Sud, d’où ils revenaient à la chute des feuilles en Andalousie. C’est aussi par flottes que les vaisseaux français allaient le plus généralement en Espagne, porter du blé, charger du sucre. À la Hollande ils demandaient tous les produits de la Baltique, en même temps que ceux des Indes dont Amsterdam était le grand entrepôt. Nous ne poussions jamais bien loin vers le nord. La « Moscovie » d’alors ne faisait aucunement parler d’elle sur les marchés ; un Anglais, échoué par hasard en 1533 près d’Arkangel, aussi étonné de se trouver là qu’on y fut de le voir, avait été le premier à commercer dans ces parages. L’Angleterre, où nos marins se plaignaient d’être mal reçus et mouillaient fort peu, préférait nous épargner tout dérangement, en apportant elle-même le contenu de 2 000 bateaux pleins d’objets manufacturés par ses ouvriers.

Veut-on savoir quel était, sur la Méditerranée, le mouvement de Marseille il y a deux siècles : il en sortait chaque année 40 bateaux à destination d’Espagne et de Portugal, 16 pour l’Italie, 23 pour l’Egypte, 22 pour la Turquie, en tout, avec les autres destinations, moins de 150 navires, — chiffre d’un rapport de l’époque, — c’est-à-dire un mouvement de.50 000 tonnes peut-être, là où de nos jours il dépasse 7 millions ; et ce port n’est que le huitième du monde, par ordre d’importance, primé par Anvers, Hambourg, Chicago, Liverpool, etc, jusqu’à Londres qui occupe le premier rang avec 21 millions de tonnes. Qu’on ne se hâte pas de déplorer le sort de l’ancien Marseille : la navigation méditerranéenne des autres peuples n’était pas plus active. Si la France n’envoyait à Smyrne, la plus considérable de ce qu’on nommait les « échelles du Levant », que 10 vaisseaux chaque année, l’Italie par Livourne n’en envoyait que quatre, et l’Angleterre n’y signalait sa présence que tous les deux ans par un convoi de 7 à 8 navires. Sur la Manche, notre grand port actuel du Havre, délaissé au XVIIIe siècle par la marine de guerre qui le trouvait trop peu profond, obtenait pour la première fois en 1736 le droit de recevoir les denrées étrangères. Jusqu’à cette date ces marchandises, par un privilège inconcevable que la capitale normande défendit mordicus, ne pouvaient être officiellement débarquées qu’à Rouen, d’où les Havrais, qui les avaient vues passer sous leurs yeux, étaient obligés de les faire ensuite revenir dans leur cité.