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de Carnot et de Barthélémy ; ils ne perdent pas de temps pour venir s’installer au palais directorial.

S’il est une victime que les auteurs forcés du 18 Fructidor doivent éprouver le regret d’avoir comprise dans leur coup d’Etat, c’est bien certainement Carnot, qui depuis la Révolution a rendu tant de services à son pays, et qui ne pouvait être au fond qu’un sincère ami de la liberté. Il a échappé heureusement à la déportation en s’esquivant par une sortie du Luxembourg. J’en fus pour mon compte tout à fait heureux et reconnaissant envers ceux qui ont pu coopérer à cette évasion. Si je n’en avais pas été le premier complice, m’était-il difficile de la prévenir, lorsque j’étais investi de tous les pouvoirs, et que tous les moyens de surveillance comme d’action avaient été mis à ma disposition par la dictature que mes deux collègues m’avaient conférée ? Cette dictature n’était-elle pas plus que sanctionnée par tous les militaires soumis à mes ordres, comme par la portion du Corps législatif qui marchait avec la majorité du Directoire ?

Carnot a été assez troublé de l’événement qui l’enveloppait, il a été assez agité depuis ce moment dans toute son existence, pour avoir pu croire qu’on ne l’avait pas respectée et que, comme ils l’ont dit, lui et d’autres, on avait voulu le tuer. Il est aisé de répondre d’une manière complète à cet égard. Si l’on avait eu une pareille intention, je le déclare à Carnot, il était plus facile de le faire que de le dire, dans la disposition d’esprit de tous les militaires et des hommes d’action qui se trouvaient à mes ordres et ne demandaient qu’un signe de ma volonté pour donner à leur exaspération les suites de la plus terrible vengeance. Le ressentiment de Carnot a pu égaler l’irritation qu’il portait au Directoire. Il est plus excusable dans cette seconde partie, qui tient à ses malheurs, qu’il ne le fut dans cette irritation perpétuelle dont il nous a renouvelé les scènes pendant dix-huit mois, scènes arrivées au point où Carnot appelant à lui tous les ennemis de notre patrie pour le soutenir, nous ne pouvions plus le séparer de ces ennemis, dans la nécessité où nous étions de sauver la patrie et nous-mêmes de leurs attaques communes. Il paraît, au surplus, que le caractère violent et inflexible de Carnot n’avait pas seulement été combattu par nous, il l’avait été dans sa famille même : il avait, avant le 18 Fructidor, rencontré de bienveillantes contradictions et de fraternelles remontrances dans quelques-uns de ses parens qui lui étaient dévoués de cœur autant qu’ils l’étaient d’opinion à la liberté. Nous trouvâmes l’expression de ces sentimens bien manifestes dans des lettres qui étaient adressées à Carnot au Directoire par l’un de ses frères, interceptées dans la bagarre de la journée du 18 Fructidor. Elles me furent apportées