Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/491

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parmi tous les autres généraux qui m’obsédaient sans cesse et remplissaient mon antichambre, je reconnus enfin qu’Augereau était ce qu’il y avait de plus loyal, de plus définitif si l’on peut ainsi dire, en patriotisme et en dévouement. Lorsque je lui eus prononcé le mot « demain ». je vis en lui ce premier mouvement qui se fait remarquer chez les plus vaillans soldats le premier jour où ils entendent le bruit du canon. Celui d’une révolution politique était pour Augereau une première sensation dans cet ordre d’idées ; il avait fait héroïquement la guerre, et passé le pont d’Arcole, mais il n’avait pas été au feu de nos combats intérieurs, il ne s’était point aguerri au 10 Août, au 9 Thermidor, au 13 Vendémiaire, il fallait donc l’aguerrir en un instant.

Augereau me dit, avec une franchise qui n’était peut-être pas exempte de quelque incertitude politique, qu’il n’était pas tout à fait prêt : il manquait de voitures pour transporter les fusils de Vincennes à Paris ; il fait informer du retard de l’exécution Rewbell et La Revellière par Izard, son aide de camp. Rewbell, qui avait cru, d’après ma promesse, se réveiller pour apprendre une chose terminée, se met dans une grande colère : « Tout est perdu : je quitte Paris ; qu’on selle mes chevaux. » Izard, l’aide de camp d’Augereau, vient me rendre compte de cette sortie. Je cours chez Rewbell, qui était chez La Revellière, où je le trouve ; il était dans une agitation extrême et voulait toujours quitter Paris. Augereau, d’autre part, avait dit vouloir retourner en Italie. Rewbell nous parle avec autant de simplicité que d’émotion de songes qu’il a « us les nuits précédentes. Il s’attend à la mise hors la loi. Enfin la faiblesse de moyens et de volonté qu’Augereau laisse voir en ce moment fait croire à Rewbell que tout est perdu. La Revellière et moi, nous cherchons à le dissuader, à le rassurer ; il persiste dans son dessein de s’en aller, il sera à cheval sous une heure ; alors je lui réponds : « Où, iras-tu ? Sais-tu bien que les fuyards ne sont jamais reçus aux armées ? » Je le conjure de rappeler son courage : il n’y a de salut pour lui et pour nous qu’en exécutant le plan adopté contre les ennemis de la République. Je déclare à Rewbell que s’il se met en défection, il sera arrêté ; que je vais faire appel AU peuple ; qu’il s’ensuivra peut-être des événemens désastreux ; mais que je vaincrai sans lui et malgré lui : « Continue donc à vouloir partir, m’écriai-je. Trahis ton devoir et le peuple ; Rewbell, couvre-toi de déshonneur ! » La Revellière regarde Rewbell, et, se retournant vers moi : « Je sauverai avec toi la République, me dit-il, ou je partagerai ton sort : aucune lâcheté ne me sera jamais imputée. »

Après une conversation longue et même menaçante, Rewbell, convaincu de notre résolution, retrouve ses facultés et reprend :