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qui en résultent pour leurs gouvernemens. Personne n’en veut à l’Autriche d’être entrée dans la triple alliance, parce qu’on sait fort bien qu’elle n’a pas cédé, en le faisant, à un mauvais sentiment contre nous, et qu’à plusieurs reprises on a cru reconnaître dans les affaires de l’Europe l’action modératrice de l’empereur François-Joseph, aussi bien que le sincère désir de paix qui l’anime. Cet échange de visites entre le président de la République française et l’empereur d’Autriche a produit en France une heureuse impression. On n’a pas été moins sensible à l’hommage rendu par M. Félix Faure au plus illustre homme d’État de l’Angleterre, M. Gladstone. Il ne s’agissait plus cette fois d’un souverain, mais d’un citoyen qui, à travers la plus longue existence politique de ce siècle, a honoré son pays par sa fidélité à des idées libérales et à des sentimens généreux. La carrière de l’illustre vieillard est terminée aujourd’hui, bien qu’il ait conservé toute la vivacité et la chaleur de son esprit. C’est lui-même qui a voulu y mettre fin. La voix de la postérité se fait déjà entendre pour lui, et M. Félix Faure lui en a sans doute apporté l’écho. Les visites échangées avec le tsarewitch, avec l’empereur d’Autriche, enfin avec un simple mais grand citoyen, ont été la meilleure partie du voyage de M. le président de la République. Malheureusement, ces impressions n’effacent pas toutes les autres.


Si nous n’en voulons pas à l’Autriche de faire partie de la triple alliance, pourquoi ne pas avouer que nous n’éprouvons pas tout à fait le même sentiment à l’égard de l’Italie ? Pourtant on se tromperait beaucoup, de l’autre côté des Alpes, si on croyait que nous avons éprouvé du malheur de nos voisins une satisfaction qui serait indigne de nous. Nous n’avons oublié ni la solidarité qui unit tous les Européens sur le continent noir, ni les liens particuliers qui nous ont longtemps attachés à une nation de même race et de même sang que nous, ni les sympathies que nous y rencontrons encore chez une grande partie de la population. On a toujours distingué, en France, entre l’Italie et son gouvernement, et même entre son gouvernement et M. Crispi. Il nous est sans doute impossible de refuser notre admiration au courage et à l’énergie que déploient les Abyssins dans une lutte où ils n’ont pas été les agresseurs ; ils défendent, en somme, l’intégrité de leur territoire ; néanmoins, nous n’aurions pas été fâchés que l’Italie trouvât dans ses expéditions africaines assez d’avantages pour y persévérer, et assez de gloire pour que cette guerre lointaine occupât son imagination en même temps qu’elle se serait accordée avec ses intérêts. Les choses ont tourné tout autrement. La nouvelle du désastre d’Adoua est arrivée en Europe au moment où on se demandait si la saison des pluies ne retarderait pas un choc qui avait paru imminent pendant quelques jours, mais qui, ne s’étant pas produit aussitôt