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que la première fois j’avais vu dans ce portrait autre chose que ce qu’il y avait en réalité. En général nous apportons nos passions devant les ouvrages des grands artistes et nous les jugeons avec elles. Je suis convaincu qu’ils n’ont pas cherché ce que nous trouvons. Souvent ils ont idéalisé un modèle, en ont fait un type où l’on voit mille perfections qu’ils n’ont pas prétendu y mettre. Ils se sont bornés à corriger certains défauts de leur modèle, à exagérer certaines qualités.

Je suis fâché de vous trouver injuste pour les anciens, ils n’ont jamais admis la grimace. Mais ils ont cherché et trouvé l’expression. Je voudrais que vous vissiez la tête de l’Apollon Pythien de M. de Pourtalès. C’est tout autre chose que le grand dépendeur d’andouilles du Belvédère. Si vous connaissiez les belles légendes mythologiques grecques, vous seriez très frappée de l’expression de tristesse profonde du dieu initiateur. Cette tête est assurément une des plus belles choses de la statuaire grecque. Voyez encore la Vénus de Milo, la Diane d’Arles, à qui les premiers chrétiens ont méchamment coupé le nez. Je n’aime pas trop le Laocoon, qui est l’ouvrage d’un romantique, mais d’un romantique élève d’un grand maître.

Veuillez agréer, madame, l’hommage de tous mes respectueux sentimens.

PROSPER MERIMEE.


Samedi soir mai 1857.

Madame,

Voici ce que m’envoie un des inspecteurs généraux des édifices diocésains. Il me semble que les observations portent surtout sur un manque de forme. On a envoyé un dossier incomplet. Quant au clocher, je suppose que ce n’est qu’un conseil et non une condamnation absolue.

Quand vous voudrez aller voir les tableaux de Delaroche, je suis à vos ordres. Tous les jours me sont bons, excepté lundi, où je vais à l’enterrement de ce pauvre Alfred de Musset, et jeudi, où je déjeune avec le lion d’aujourd’hui. Cela ne m’empêche pas d’être malade et mélancolique comme un chien.

Adieu, madame, veuillez agréer l’expression de tous mes respectueux hommages.


PROSPER MERIMEE.