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contradictoires… et on n’aura rien fait si le juge demeure ou paraît demeurer dans la main de l’accusateur. Qu’on place au contraire le juge aussi haut que possible, au-dessus des parties qui luttent dans l’enquête ; tout le reste sera aisé. Notre président d’assises devra donc avant tout être maintenu par la loi au-dessus de toute influence possible, au-dessus même du moindre soupçon de partialité. Voyons si on a su lui créer cette situation supérieure, voyons comment depuis un siècle on a organisé sa fonction.


III

Et d’abord, qui le nomme ?

En France, depuis la Révolution, on a essayé sur ce point de tous les systèmes, et en cette matière comme en bien d’autres, on s’est enfin fixé à la solution la moins libérale. Jetons en arrière un regard rapide.

Après la mort des Parlemens, dès que la Constituante eût invité à des vacances éternelles les propriétaires d’offices, on organisa le jury, et on songea naturellement à lui donner pour guide un élu du peuple. Les électeurs du département furent donc chargés de désigner le président du Tribunal criminel. Cet essai fut de courte durée. En 1804, quatre jours après la proclamation de l’Empire, Bonaparte, ouvrant au Conseil d’Etat la discussion sur le projet de Code de procédure pénale, pouvait s’écrier : « Il n’y a plus de justice criminelle en France. »

Il s’agissait d’en créer une. Et puisque, malgré les protestations de la Cour de cassation et de douze Cours d’appel, malgré les défiances de Napoléon, on allait garder le jury, il fallait s’occuper de désigner les présidons de cette juridiction criminelle. On fut d’accord, au Conseil d’Etat, pour déclarer qu’il était essentiel de relever et de fortifier cette fonction si haute. Au juge qu’on allait créer, il fallait « plus de dignité, plus de crédit, plus de liberté, en un mot, une constitution plus robuste. » On voulait un magistrat égal à sa haute fonction autant par sa capacité que par son indépendance. Bonaparte adopta d’abord cette idée si juste ; sa vue perçante découvrait du premier coup les solutions logiques, qui souvent se déformaient ensuite, se pliaient aux besoins de sa politique. Il entrevit donc la solution vraie et salutaire : au sommet de grands juges, et peu de juges ; des hommes haut placés, n’ayant rien à espérer ni à craindre, et rendant la justice, loin des compétitions publiques ou privées. Il faudrait, dit-il un jour, investir les juges présidant les assises « d’un grand caractère national qui leur donne beaucoup de dignité. » Et il se ralliait à l’idée d’instituer des « préteurs » destinés à présider les