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les propositions de paix faites par le négus eussent chance d’être acceptées.

Chez le peuple italien, né d’hier à l’indépendance, le patriotisme a toute l’exubérance de la jeunesse. A la nouvelle du combat glorieux de Dogali, une explosion d’enthousiasme dans la péninsule éclata. C’était la première fois que, depuis sa réorganisation, la nouvelle armée italienne était appelée à faire ses preuves sur les champs de bataille, et partout dans le royaume on se disait avec orgueil que la lutte héroïque soutenue par les jeunes troupes de l’Italie honorerait la plus vieille, la plus aguerrie des armées. Les quelques rares survivans blessés, échappés au désastre, furent accueillis à Naples par une foule en délire. « L’histoire gardera un souvenir impérissable du combat de Dogali », disait de son côté le roi Humbert aux troupes partant pour porter secours à leurs frères d’armes sur la terre abyssine. Cinq millions furent votés d’urgence ; les régimens de la péninsule se dégarnirent au profit du corps expéditionnaire ; en une année, du 30 juin 1887 au 30 juin 1888, 60 millions furent dépensés pour l’armée d’Abyssinie ; 20 000 hommes de troupes italiennes furent envoyés à Massaouah.

Le 7 janvier 1888, l’armée expéditionnaire forte de 30 000 hommes, dont 10 000 de troupes indigènes, se mit en marche et réoccupa Saati. Quatre armées abyssines pouvaient être opposées aux forces italiennes : l’armée du ras Aloula ou armée du nord, comptant 50 000 hommes ; l’armée du Tigré ayant une force égale ; l’armée du Godjam évaluée à 20 000 hommes ; et l’armée du Choa comprenant 80 000 hommes que commandait Ménélik. Ce dernier, il est vrai, ne bougea pas. A la tête des trois armées du nord, du Tigré et du Godjam, le négus vint se présenter devant Saati. Sur ce point, les Italiens avaient accumulé les moyens de défense ; ils avaient construit un vaste camp retranché défendu par des forts en acier et des torpilles terrestres et l’avaient pourvu de toutes les ressources que peut fournir la science moderne : voies ferrées, télégraphe ordinaire et télégraphe optique, téléphone, phares électriques et aérostats. Abondamment approvisionnés par la voie de mer, ils pouvaient de là défier les 100 000 hommes du roi Johannès. Ce dernier eut beau multiplier les démonstrations devant Saati et chercher à attirer les Italiens en rase campagne, ceux-ci restèrent dans leurs retranchemens. Bientôt le manque d’eau et de vivres se fit sentir dans le camp du négus, la maladie se mit parmi ses troupes, et il dut se retirer précipitamment.

Les opérations furent suspendues pendant l’été, et une bonne