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regards se portaient vers de lointains horizons, au-delà des frontières de la péninsule trouvées trop étroites. Ses hommes d’Etat et ses poètes parlaient volontiers de primato, de prépondérance méditerranéenne. S’il faut en croire certaines paroles officielles prononcées tout récemment au-delà des monts, l’occupation italienne de la Tunisie aurait été, dès 1864, décidée en principe. Quelles considérations déterminèrent l’Italie à renoncer à cette résolution ? Les influences extérieures qui l’auraient encouragée dans cette voie aventureuse cessèrent-elles, au moment décisif, de se manifester dans un sens favorable à ses aspirations ? Ou bien les ressources financières du jeune peuple parurent-elles à ses hommes d’Etat peu en rapport avec la grandeur de l’entreprise ? C’est là un point d’histoire qui n’a pas encore été suffisamment éclairci. Toujours est-il que l’esprit de prudence l’emporta, et que le projet d’expédition fut abandonné ; et quand, plus tard, ayant complété son unité, disposant d’une situation financière plus assurée, l’Italie voulut reprendre et réaliser l’idée caressée en 1864, elle trouva la route barrée devant elle, et ce fut la France, devenue plus soucieuse de ses intérêts algériens, qui s’installa à Tunis.

C’est hors des rives méditerranéennes que la destinée de l’Italie réservait à ses ambitions coloniales un champ d’action. Lorsqu’on étudie l’histoire du partage politique de l’Afrique, il est curieux d’observer combien de faits d’une importance jugée minime tout d’abord ont eu de graves conséquences au point de vue de l’expansion coloniale des puissances européennes dans cette partie du monde. L’occupation sur l’estuaire du Gabon d’un point destiné à servir de relâche pour nos navires chargés de la répression de la traite a été, pour la France, le point de départ d’un empire qui atteint le lac Tchad et le bassin du Nil. L’escale de Saint-Louis du Sénégal, considérée par les Anglais comme de peu de valeur et laissée à ce titre en 1815 à la France, nous a amenés à Tombouctou et demain nous amènera à Saï sur le Niger et à Barroua sur le Tchad. Quelques traités signés furtivement et à la hâte, dans la nuit du 15 juillet 1884, par le docteur Nachtigal avec de petits chefs du Cameroun ont conduit en dix ans les Allemands aux rives du Chari. L’établissement d’un dépôt de charbon sur un point à peu près désert de la Mer-Rouge par une compagnie de navigation a donné aux Italiens près de 3 000 kilomètres de côtes sur la Mer-Rouge et l’Océan-Indien, les a mis en possession d’une partie du plateau abyssin et peut-être leur permettra d’être un jour les maîtres de l’Ethiopie.

A la suite de l’ouverture du canal de Suez, une compagnie