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petit Samuel que vous savez, bien qu’il m’ait paru fort enlaidi. Le voilà à peu près, — non digne de vous être offert, — mais tel que mes yeux et ma main peuvent le faire. Je vous demande la permission, pour le faire bien venir, d’y joindre un petit souvenir de la Terre-Sainte, qu’un consul de mes amis m’a rapporté et qui sera beaucoup mieux dans vos mains que dans les miennes. Cela fera excuser les fautes du peintre. J’ai des nouvelles de M. Ch… Il se porte bien et ne parle pas de revenir, bien qu’il semble assez triste et ennuyé de son pays.

Il m’a envoyé une lettre admirable d’une jeune miss américaine qui peint la nation. J’ai lu, il y a quelques mois, un livre curieux, traduit par une ‘miss Maury du français en anglais, et intitulé Memoirs of a Huguenot family : c’est l’histoire d’un ministre de la Saintonge qui parvint à s’échapper après la révocation de l’Édit de Nantes et se fixa en Angleterre. C’était un homme très original, beaucoup plus fait pour être corsaire que prédicateur de l’Evangile. Comme il écrivait au XVIIe siècle, je me suis imaginé que ses mémoires seraient intéressans à lire dans l’original, et j’ai fait demander à Mlle Maury si elle aurait quelque objection à ce qu’ils fussent publiés en français. Elle m’a répondu par un petit mémoire de sous, livres et deniers, sans un mot de trop, admirable de positivisme. Si j’avais de l’argent je lui écrirais pour lui offrir mon cœur et ma main, sûr qu’elle administrerait ma fortune aussi bien que le plus habile loup-cervier.

Pendant deux mois passés à Cannes, j’ai à peine eu occasion de parler français trois ou quatre fois. J’ai vécu avec des Anglais fort aimables, comme ils sont quelquefois lorsqu’ils s’y mettent. Nous avions là sir David Brewster, le grand physicien, qui est assez savant pour se mettre à la portée des ignorans comme moi et leur apprendre mille petites merveilles à propos de tout. Nous avons fait ensemble des promenades délicieuses. Il a une fille qui a vu un revenant. Jusqu’alors je n’avais rencontré que des personnes qui connaissaient ceux qui en avaient vu. Bien que son revenant fût en Écosse, il paraît qu’elle portait avec elle une atmosphère très propre à les attirer, car son domestique en vit un il y a un mois, dans notre hôtel de la Poste. C’était une femme en robe de satin noir, regardant à droite et à gauche d’un air inquiet, ouvrant les portes et marchant dans les corridors sans faire le moindre bruit. Elle ne m’a pas honoré d’une visite. Pourquoi les gens du nord voient-ils plus de spectres que les méridionaux, et pourquoi les protestans plus que les catholiques ? Expliquez-moi, madame, pourquoi en Italie, où il y a tant de superstition et d’imagination, il ne se trouve pas de revenans tandis