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serait trouvé pour accomplir l’œuvre, — une chose est bien certaine, c’est que, dès 1797, le régime est condamné. « Le Directoire était arrivé à un tel point de déconsidération, qu’à défaut de Bonaparte, quelque autre chef d’armée aurait fait un 18 Brumaire comme lui : Hoche peut-être, s’il eût vécu. » Ainsi parle le républicain Carnot[1]. On est dégoûté du gouvernement des assemblées, de leurs discussions, des misérables intrigues au milieu desquelles périclite, agonise même, la chose publique ; on souffre du spectacle de l’impuissance dans laquelle se débat le pouvoir exécutif.

Après le 18 Fructidor, Barras, s’il faut l’en croire, aurait reçu d’Augereau le conseil de s’emparer du pouvoir tout entier et de gouverner seul la France[2]. Ambition trop haute pour un Barras ! A celui-là il suffit de jouir. Le pouvoir suprême à cet épicurien paresseux et sceptique ? Oh ! que non pas ! Bonne table, train fastueux, jolies femmes et de vertu facile, de l’argent : Barras n’en demande pas davantage.

Mais voici un homme d’une bien autre trempe, une âme ardente et fière, qui a goûté à la gloire sans que la gloire l’assouvisse, — qui voudrait maintenant goûter au pouvoir, qui se sent digne de l’exercer et qui l’est en effet. Devenir le Pacificateur de la France, n’est-ce pas un beau rêve pour le Pacificateur de la Vendée ? Hoche est prêt à la dictature[3] comme il l’était au coup d’Etat. Son refus du commandement de l’armée d’Irlande, — un exil déguisé, — ses paroles aussi bien que ses actes, le ton étrangement personnel qui règne dans sa correspondance pendant les derniers mois de sa vie, tout enfin révèle en ce noble chef l’inquiétude et l’orgueil d’une pensée hantée par de grands desseins.

Ainsi, — et c’est à cette constatation que tendaient les pages qui précèdent, — deux ans avant Brumaire, le divorce de la France et de son gouvernement est complet. La nation, qui souffre de mille maux, auxquels le Directoire ne sait pas porter remède, l’accuse d’en être l’auteur ; l’armée, détournée par lui de sa fonction, les chefs militaires mêlés par lui aux conflits des partis, le méprisent ; le coup d’Etat militaire, ayant pour but de délivrer la France d’un régime tombé dans le plus profond discrédit, apparaît comme la ressource unique.

  1. Mémoires sur Carnot, par son fils, t. II, p. 29.
  2. Mémoires de Barras, t. III, p. 22, 23.
  3. Sur ce point, voir la belle étude, déjà citée, de M. Albert Sorel. L’auteur estime que les intentions de Hoche étaient « incontestablement pures » et que s’il était prêt à s’emparer de la dictature, il était aussi « décidé à l’abdiquer dès que le péril serait conjuré. » Hoche du moins l’affirme ; et cette affirmation parait à M. Sorel suffisante.