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s’est montré trop indulgent[1]. » Il n’est pas jusqu’à un soudard comme Augereau qui ne prétende exercer, au nom des troupes qu’il commande, une pression sur les résolutions du pouvoir exécutif. Introduit au Directoire, « Augereau, de prime abord et sans préparation de discours, déclare que les braves de l’armée d’Italie ne souffriront pas que les royalistes opèrent la contre-révolution, que 12 000 braves qu’il commande sont prêts à marcher contre eux[2]… » Le Directoire laisse dire, le Directoire approuve, heureux de placer les coups de force qu’il médite sous le patronage et la sauvegarde des vainqueurs de l’Europe : « Nous sommes convenus avec le général Hoche que son armée se prononcera, qu’elle fera des adresses au Directoire, qui se mettra en position de les soutenir[3]. » L’armée se prononcera, l’armée de Sambre-et-Meuse ! En quel pays sommes-nous : France ou Espagne ?… Et c’est ainsi que cette pratique détestable et funeste, l’intervention de l’armée dans le conflit des partis, devient un système approuvé par le gouvernement, un des rouages essentiels du régime directorial.

Voilà donc l’armée introduite, jetée dans la politique. Qu’y fera-t-elle ? Ce que tout le monde a fait depuis dix ans. Le peuple a eu ses journées : 14 Juillet, 5 et 6 Octobre, 20 Juin. 10 Août. Pouvoir exécutif et pouvoir législatif ont eu les leurs : 18 Fructidor et 22 Floréal pour l’un, 30 Prairial pour l’autre. L’armée seule n’a pas donné encore : son tour est venu. Quelle considération pourrait la retenir ? Le respect de la loi ? Tout le monde l’a violée. Le respect du gouvernement ? Tout le monde le méprise. — Ainsi se forme, se précise peu à peu l’idée du coup d’Etat militaire libérateur, exécuté par l’armée pour le plus grand bien de la Révolution, mise en péril par les incapables et par les traîtres du gouvernement et des Conseils, par les complots des royalistes, par « l’or de Pitt » et par les chouans.

Ce coup d’Etat, d’ailleurs, l’aveugle gouvernement qui en sera la victime semble s’ingénier à y préparer d’avance les esprits de ceux qui le commettront, à les libérer de tout scrupule, à affaiblir, à ruiner en eux la salutaire doctrine qui, dans toute entreprise, dans tout triomphe de la force sur la loi, refuse de voir autre chose qu’un crime.

C’est avec la complicité de Hoche que le 18 Fructidor s’accomplit. Argent mis à la disposition du Directoire ; offre de rapprocher ses troupes de la « ligne constitutionnelle », afin d’être mieux

  1. Voir t. II, p. 485.
  2. Voir t. II, p. 502.
  3. Voir t. II, p. 498.