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conception « bio-sociologique » de l’univers était soutenue avec enthousiasme par un jeune philosophe qui, à son tour, admet que la notion de la « cité » donne la clef de bien des problèmes, le monde étant la cité universelle[1].

La philosophie première sera, selon nous, l’application de la psychologie et de la sociologie à la cosmologie ; ainsi seulement pourra se produire la conciliation de toutes les sciences dans une unité plus haute. Les sciences de la nature séparent les choses de l’esprit ; les sciences psychologiques, par une abstraction analogue, séparent l’esprit du monde avec lequel il est en relation. La philosophie, complétant la cosmologie et la psychologie l’une par l’autre, puis dépassant leur dualité, doit chercher à rétablir la complète unité de la connaissance et de l’existence, de la vie intérieure et de la vie extérieure.


IV

La morale est une œuvre collective et sociale ; elle progresse par conséquent avec la société même. Le tout des sciences, y compris la philosophie, le tout de la pratique, y compris la morale appliquée, le droit et la politique, aboutissent à une expérience humaine de plus en plus large et, du même coup, à une modification de l’idéal humain. L’idéal, en effet, est une sorte de foyer où viennent converger les idées et désirs d’une société : c’est le prolongement anticipé des directions que cette société prend en vertu de son évolution même. L’idéal d’un Européen du XIXe siècle n’est plus celui d’un Européen du Xe ; il n’est pas non plus celui d’un Asiatique. La grande force motrice dans la vie est l’idéal plus ou moins conscient que chacun possède, qui détermine pour lui le sens de l’univers et vers lequel il fait effort, soit aveuglément, soit les yeux ouverts[2]. Cet idéal prend conscience de soi dans la science et dans la philosophie. Un homme simple, voyant un arc-en-ciel sur ses arbres à fruits, s’imaginait que cette lumière y allait mettre le feu ; quelques esprits ont peur de la philosophie et de la science comme si leur clarté allait incendier tous les fruits de la vie ; en réalité, la morale n’a rien à craindre de la science et de la philosophie, qui peuvent, au contraire, lui donner un fondement à la fois réel et idéal.

Ce qui est vrai, c’est que les sciences particulières, à elles seules, ne sauraient établir la morale sur sa vraie et dernière

  1. M. Izoulet, la Cité moderne (Alcan, 1895).
  2. Voir Paulsen, Einleitung in die Philosophie.