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mécanisme, c’est-à-dire, en somme, de tout le réel. Mais, dans ce dernier quart de siècle, on devait s’apercevoir que, au lieu d’invoquer l’Inconnaissable, il était beaucoup plus logique de se représenter le connaissable sous une forme supérieure au mécanisme, et dont le mécanisme même ne serait plus qu’un extrait ou un abstrait. C’était la substitution à l’évolutionnisme mécaniste d’un évolutionnisme psychique, où la force et l’influence du mental était rétablie. Dès lors, il n’est plus besoin d’admettre deux mondes, l’un de réalités, l’autre de reflets mentaux. L’existence est une. Notre conscience n’est pas une sorte de rivage d’où nous essaierions vainement de prendre notre élan, comme le baigneur, pour plonger dans le réel ; nous nageons en pleine mer et nous n’avons aucun saut à faire pour atteindre la vague de l’être qui nous soulève.

L’unité de composition étant ainsi admise pour l’univers, il reste à savoir si cette unité était physique ou psychique. Le second stade atteint par la philosophie contemporaine a été précisément la réduction de tous les phénomènes au type mental, offrant des degrés de conscience infinis, jamais l’inconscience absolue. Tout est dans tout, disait Anaxagore. Dans l’harmonie musicale, cette grande loi devient sensible. Chaque note retentit dans les autres : tonique, médiante et dominante résonnent dans l’accord parfait ; inversement, l’accord résonne dans chaque note, et ce que nous prenons pour un son isolé est un concert. Cette loi de l’harmonie règle non seulement les sons simultanés, mais les sons successifs : les accords qui se suivent doivent être liés de telle sorte que le premier se prolonge dans le dernier ; c’est ce qui, au sein de la multiplicité même, fait l’unité. Telle est la nature. La sensation est un accord dont nous sommes pour ainsi dire la tonique, dont nos organes intermédiaires sont la médiante, dont les êtres extérieurs sont la dominante : L’accord retentit partout à des degrés divers, et la sensation elle-même résonne déjà, lointain écho, dans les élémens des choses, pour s’enfler et s’exalter dans notre conscience. Après avoir instinctivement, aux premiers âges, projeté sa personnalité dans les choses, l’homme, par la science positive, s’est abstrait des choses, les a dépouillées de lui-même et ne leur a laissé qu’un mécanisme vide ; mais, par la philosophie, il rend aujourd’hui à toutes choses vie, sensation, volonté. L’idéalisme a donc gain de cause et le vieux matérialisme ne peut plus se soutenir.

De fait, parmi les philosophes de quelque valeur, où sont aujourd’hui les matérialistes ? C’est une espèce disparue. Les derniers survivans ne s’en rencontrent plus que chez quelques