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n’admettait que la recherche du comment, non celle du pourquoi ; il déclarait que la synthèse philosophique n’embrasse pas l’unité de la nature en elle-même, mais qu’elle est seulement une classification des propriétés irréductibles des êtres, dans leur manifestation subjective et humaine. L’évolutionnisme, au contraire, admet la possibilité de résoudre, du moins dans l’ordre phénoménal, les questions d’origine et même d’essence, de réduire les phénomènes, les forces, les espèces, d’en expliquer les dérivations naturelles en s’élevant des phénomènes plus simples et plus homogènes aux plus complexes et hétérogènes.

Un fait caractéristique, dans cette période, c’est la réduction à zéro, ou presque ; du mouvement théologique qui avait encore été si notable pendant la première moitié du siècle. A la théologie succède l’ « agnosticisme », qui, jusqu’à nouvel ordre, semble le vrai triomphateur. Le Lamennais de la seconde moitié du siècle est Renan, qui se borne à combiner les souvenirs poétiques de sa religieuse enfance avec un hégélianisme inconséquent, et qui finit par réduire Dieu à la catégorie de l’idéal. Le catholicisme n’a plus rien inspiré de comparable à ce qu’il avait produit au commencement du siècle. Il ne reste guère, chez la plupart des esprits, que la « religion amorphe » de l’Inconnaissable, dont le grand piètre est Spencer. L’ « état théologique » est en décroissance manifeste. Il n’en est pas de même de la métaphysique, qui semble avoir hérité de tout ce qu’a perdu la théologie. On assiste alors à la lutte du naturalisme et de l’idéalisme. Et comme le mouvement des idées s’accélère, la seconde moitié du XIXe siècle nous offre elle-même deux périodes distinctes, l’une où le naturalisme prédomine et, vers 1855, envahit la littérature même, l’autre où l’idéalisme finit par prendre le dessus.

L’année 1851, qui fut en France l’année critique du siècle, avait vu s’effondrer tous les rêves de réorganisation sociale et religieuse, de liberté et de fraternité universelle. La force triomphait ; on revenait en arrière, le fait donnait un démenti à l’idée. Témoin du triomphe des sciences positives et des sciences historiques, qui s’appuyaient sur l’idée d’évolution, Renan s’imagina que la philosophie se résolvait elle-même en histoire, que dis-je ? en philologie, en « érudition » ! C’était du comtisme rétréci, en même temps que de l’hégélianisme décapité ! Taine, lui, voulait « souder » les sciences morales aux sciences naturelles ; souder, rien de plus juste, mais identifier et confondre, tel était le danger. Taine, pour son compte, n’y échappa pas toujours. Il ne vit dans l’homme qu’un animal incomplètement apprivoisé, toujours prêt à redevenir féroce. Si encore c’était un animal sain ! Mais non,