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philosophie générale, de l’esthétique, de la sociologie, se succèdent sans interruption. Les thèses de philosophie sont plus nombreuses que jamais, et il en est peu qui ne soient des œuvres remarquables. Aux travaux historiques qui charmèrent une moitié du siècle, on préfère aujourd’hui les recherches théoriques : on sent qu’il faut tourner les yeux vers l’avenir plutôt que vers le passé. Jamais l’enseignement philosophique n’excita chez la jeunesse plus d’intérêt, et s’il a pu donner lieu à quelques protestations, c’est précisément parce que, conscient de sa vitalité et entraîné par un certain enthousiasme, il n’a pas toujours su se tenir au niveau moyen des esprits[1]. En outre, le besoin de croyances générales a produit une recrudescence, parfois exagérée, des spéculations métaphysiques. On est tombé dans le subtil et dans l’abscons ; comme la littérature, la philosophie a eu ses symbolistes et ses décadens : mais si, sous les exagérations et les déviations, on cherche à pénétrer le sens du mouvement actuel, on peut dire que, — dans le domaine de la philosophie comme dans tous les autres, — ce mouvement est idéaliste. Quelque chose s’en va, quelque chose vient ; et toute cette agitation, qui inquiète les esprits superficiels, n’aura point été vaine. Le scepticisme et le dilettantisme n’existent plus que chez quelques littérateurs ou critiques demeurés fidèles à certaines tendances de Renan. Pour ceux-là seuls, c’est « un abus vraiment inique de l’intelligence que de l’employer à rechercher la vérité », ou encore « à juger selon la justice les hommes et leurs œuvres. » L’intelligence, selon eux, s’emploie proprement « à ces jeux, plus compliqués que la marelle ou les échecs, qu’on appelle métaphysique, éthique, esthétique. » Où elle sert le mieux, c’est à « saisir ça et là quelque saillie ou clarté des choses et à en jouir[2]. » Cette attitude n’est pas celle de la majorité des esprits, qui comprennent de plus en plus le sérieux de la vie, de la science, de l’art même, et la réalité de l’idéal. Par idéalisme d’ailleurs, nous n’entendons pas la théorie qui veut tout réduire à des idées, tout au moins à de la pensée, telle que nous la trouvons en nous, ou à quelque pensée analogue. Nous ne désignons par ce mot ni la négation des objets extérieurs, ni la représentation purement intellectualiste du monde. Nous entendons la représentation de toutes choses sur le type psychique, sur le modèle des faits de conscience, conçus comme seule révélation directe de la réalité. Quant au spiritualisme proprement dit, ce mot, devenu ambigu, désigne plutôt aujourd’hui la

  1. Voir Pour et contre la philosophie ; Paris, Alcan, 1894.
  2. M. A. France, le Jardin d’Épicure.