Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/260

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me paraît difficile et commencée par le mauvais bout. Cependant je ferai de mon mieux.

L’explication de M. Foisset m’a fait sourire. Il est très commode d’expliquer par l’hébreu les textes grecs. Il est encore plus facile de traduire le grec en français sans s’inquiéter de la signification des mots. Je trouve, par exemple, Marc, III-21, qu’on fait dire à la mère et aux parens de Jésus qu’il va tomber en défaillance. Et en grec il y a : « Il a un accès de folie. » Mais tout cela me touche peu. Pour moi, les évangiles sont une rédaction faite par des gens illettrés, de traditions différentes et déjà anciennes ; le tout mêlé de toutes les idées populaires du temps. Je n’en rends pas Jésus le moins du monde responsable. Il se peut qu’il ait dit à sa mère : « Je me soucie aussi peu que vous que le vin manque. » Je voudrais qu’il eût dit cela. Il est plus probable qu’ayant, comme tous les Orientaux, peu d’estime pour les femmes, il ait dit à sa mère de se mêler de ses affaires. Il dit d’ailleurs, et c’est un point de doctrine : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui font la volonté de Dieu », c’est-à-dire ceux de ma croyance. Voilà le vrai langage d’un prophète. Je n’ai pas besoin de vous dire que je ne crois pas au miracle de la légion de diables envoyée dans 2 000 cochons. Ce qui me frappe dans l’histoire, c’est que le narrateur avait l’idée de son temps qu’on ne pouvait chasser d’un corps un esprit immonde sans lui assigner une autre résidence. C’est encore une autre idée que je m’explique (parce que j’ai étudié la magie quand j’avais 16 ans) qui fait dire à Jésus dans Luc, VIII, 46 : « Une force est sortie de moi », sans qu’il sache l’emploi qui en a été fait. Tout cela, je le répète, me donne la mesure des connaissances des rédacteurs et ne fait rien à la doctrine elle-même. Ce qui me choque dans la robe nuptiale, c’est le triste sens que présente la parabole : Beaucoup d’appelés et peu d’élus. Si cela s’applique à ce monde, cela est trop parfaitement vrai. Si à un autre monde, cela me semble fort injuste, et ce qu’il y a de plus mauvais, c’est l’usage qu’on a fait de ce texte. Mais c’est assez vous scandaliser, madame ; j’attends vos ordres pour l’affaire d’X… Je ne vois de moyen de succès que dans la tactique que j’ai l’honneur de vous proposer.

Veuillez agréer, madame, l’expression de tous mes respects.

PROSPER MÉRIMÉE.


Paris, 29 août 1857.

Madame,

Je reçois vos deux lettres à la fois en arrivant ici. Je pense qu’il vaut mieux vous écrire à Paris qu’à Marseille, ville où les