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mon domestique. est mort de la petite vérole ? Il avait toutes sortes de défauts et une qualité excellente, c’était de comprendre quelqu’un qui s’explique très mal et ne sait jamais ce qu’il veut. En outre, il était admirable en voyage et avait un entregent qui lui faisait trouver partout des amis. C’est une des grandes misères humaines de changer d’habitudes. Adieu, madame, j’espère que vous avez aussi beau temps que nous. J’ai trouvé ici deux lettres de M. C… qui paraît décidé à rester dans son affreux pays jusqu’après avoir marié sa fille. Connaissez-vous quelque chose de plus amusant que ces barricades et ces batailles à coups de revolver à New-York ? Quelle abominable canaille !

Veuillez agréer, madame, l’expression de tous mes respectueux hommages.

PROSPER MERIMEE.


Paris, 3 août 1857, au soir.

Madame,

Que le diable emporte la poste ! Je vous ai écrit deux fois au moins : à mon arrivée à Paris d’abord, puis il y a peu de temps à Florence, Bologne me paraissant devoir être déserte. Je crois que je vous ai dit la vérité dans ma première lettre sur Manchester. Je n’avais pas si bien traité le public dans un article que j’ai fait et qui était louangeur. J’ai la politique de ne jamais dire du mal d’un pays où je dois revenir. Voilà pourquoi on m’aime tant en Espagne. Je ne me suis jamais plaint des mauvais gîtes, bien qu’il ait plu quelquefois dans mon lit ; des mauvais dîners, bien que je me sois vu plus d’une fois en présence d’un lapin, mon ennemi mortel, obligé de manger mon pain sec, etc.

Vous avez fait une grande perte, madame, irréparable, car je n’ai plus à présent ma fraîcheur d’impression. Mais regardez la gravure de Forster des Trois Grâces (qui vaut mieux que tous les articles du monde), propriété de lord Dudley et Ward, et supposez un coloris charmant, un modelé admirable, et tout cela très chaste, nonobstant l’exiguïté de la toilette. C’est ce que j’ai vu de mieux à Manchester. J’ai reçu aujourd’hui votre lettre du 29. En ma qualité d’auteur, je commence par vous parler de cette Méprise que Mlle de F… a eu l’audace de lire. Veuillez ne pas la lire. C’est un de mes péchés, faits pour gagner de l’argent, lequel fut offert à quelqu’un qui ne valait pas grand’chose. — Vous me parlez du château des Ricciardi, et cela me rappelle un de nos sujets de discussions ordinaires lorsque j’étais à Londres. L’Angleterre doit-elle sa prospérité à la loi des substitutions, et peut-on prospérer sans cette loi ? Je commencerai par