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méprend pas autant qu’on pourrait le croire sur les dangers de la politique de conflit où elle a paru vouloir s’engager avec lui. Elle se sent au seuil d’une impasse. La prodigieuse maladresse qu’il y a eu à provoquer ce conflit, qu’on nous passe le mot, pour les beaux yeux de M. Ricard, n’a pas tardé à la frapper. Un travail silencieux, mais rapide et profond, s’est fait dans ses esprits et dans ses sentimens. Et puis, les allures de plus en plus aventureuses du cabinet l’inquiètent chaque jour davantage. La Chambre n’est pas socialiste, le gouvernement vient de déclarer qu’il l’était. Il n’y a donc plus, même pour les pires aveugles, ceux qui ne veulent pas voir, à se tromper sur le but qu’il poursuit. M. Bourgeois protestait, il n’y a pas longtemps encore, contre le socialisme, et M. Ribot lui rappelait le 20 février une séance du mois de novembre 1894 où, dans l’esquisse qu’il traçait d’une majorité suivant son cœur, il excluait avec une égale rigueur les socialistes et les ralliés. Les temps sont changés. M. Bourgeois est bien forcé aujourd’hui de s’appuyer sur ses adversaires d’hier. Il leur appartient, il est leur prisonnier. Les socialistes forment l’appoint de la majorité d’une quarantaine de voix dont il dispose encore, ou plutôt dont il disposait il y a huit jours, il ne pourrait pas durer vingt-quatre heures sans eux. C’est pourquoi, au cours d’un voyage récent qu’il a fait à Châlons-sur-Marne avec M. le ministre du commerce, il a autorisé celui-ci, parlant au nom du gouvernement, à se déclarer en propres termes progressiste et socialiste. M. Mesureur ne demandait pas mieux. « Le cabinet, a-t-il dit, dont j’ai l’honneur de faire partie, a déjà quatre mois d’existence. Je viens de vous exposer ce que nous avons pu faire durant ce court espace de temps, mais nous avons fait mieux que de vivre ; nous avons fourni la preuve qu’un cabinet radical était possible dans la République française. Nous pouvons disparaître bientôt dans un accident de la vie parlementaire ; nous n’en aurons pas moins démontré que les républicains progressistes et socialistes ont droit au pouvoir, car ils sont capables de gouverner. Le pays peut les appeler ; ils ne sacrifieront rien de ce qui fait ses intérêts et sa gloire. » Ce langage ne manque pas de fierté ; mais M. Mesureur n’exagère-t-il pas lorsqu’il assure que les radicaux socialistes ont fait leurs preuves et qu’elles ont été satisfaisantes ? Nous avons déjà dit à quels résultats ils sont arrivés au bout de quatre mois : ils se sont mis eux-mêmes dans l’impossibilité d’accomplir leurs réformes. Le discours de M. Mesureur à Châlons y a contribué pour sa quote-part. Venant à la veille de l’élection de la Commission du budget dans les bureaux, il n’a pas été sans influence sur les choix qui ont été faits. Peut-être M. Bourgeois, se sentant perdu, a-t-il voulu brûler héroïquement ses vaisseaux ; peut-être aussi n’a-t-il été qu’à moitié satisfait des paroles prononcées par M. le ministre du commerce ? Il a avoué qu’elles avaient pu paraître hardies à quelques-uns, « mais seulement, a-t-il ajouté, à ceux qui derrière les mots n’ont pas