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majorité obtenue ce jour-là par le gouvernement. Le surlendemain, au Luxembourg, nouvelle interpellation de M. Monis, plus pressante, plus précise encore que la précédente : cette fois, M. Ricard avoue que la lettre de M. Rempler existe ; seulement, la veille encore, il ne la connaissait pas. Il ne la connaissait pas, soit ! c’est tout ce qu’il aurait dû dire à la Chambre : pourquoi la nier, avant d’avoir pris à son sujet des renseignemens sûrs ? On pense bien que ces alternatives d’ignorance mêlée d’affirmations tranchantes, puis d’aveux qu’il fallait bien se résigner à faire assez humblement, ne pouvaient produire qu’une pitoyable impression. Il y a eu une seconde lettre que M. Ricard n’a pas connue, mais dont il n’a plus osé contester l’existence en termes aussi péremptoires, lettre par laquelle M. Remplir se plaignait avec une telle vivacité de n’avoir pu obtenir le réquisitoire jugé par lui indispensable, que le procureur de la République l’a prié de la retirer et de lui en écrire une autre plus douce. Que résulte-t-il de la révélation de ces faits, que tout le monde, paraît-il, connaissait au Palais de justice et que M. Ricard était seul à ignorer ? Que M. Rempler avait rempli son devoir, et que rien ne justifiait à son égard la défiance de M. le garde des sceaux et du gouvernement. Le dossier des Chemins de fer du Sud lui a été enlevé sans cause légitime, par un caprice personnel du ministre, qui avait improvisé à la hâte un autre juge d’instruction. Voilà la vérité : elle ne fait honneur ni à M. Ricard, ni au ministère.

La Chambre, qui avait montré d’abord quelque hésitation à s’emparer de cette affaire, a fini par en comprendre toute la gravité et, à son tour, elle s’en est montrée extrêmement émue. La séance du 20 février comptera parmi les plus importantes et les plus curieuses de cette législature. Le sort du cabinet Bourgeois s’y est décidé. Le cabinet n’a pas été bal tu puisque, en y comprenant les siennes, il a encore obtenu 45 voix de majorité, mais il a reçu des coups dont il ne se relèvera pas. Ce qui a été d’ailleurs particulièrement significatif, c’est l’attitude même de l’assemblée. Pour la première fois depuis longtemps, le centre avait repris tout son courage ; son ardeur presque éteinte s’était remise à flamber, et il soutenait ses orateurs avec une fermeté, parfois même avec une véhémence dont les socialistes ont paru tout étonnés. Ils avaient pris l’habitude de dominer la Chambre, de conduire les discussions, surtout de les étouffer quand bon leur semblait. Ils sont une cinquantaine à peine ; mais lorsqu’ils se mettent à donner de la voix et à frapper des mains, personne ne peut plus parler au milieu du tumulte. Le président, quelle que soit sa bonne volonté qu’il est juste de reconnaître, et malgré tous ses efforts pour maintenir la liberté de la parole, n’y parvient quelquefois que d’une manière incomplète. Il a fallu, le 20 février, que l’Assemblée fit sa police elle-même et que le centre assurât à ses orateurs les moyens de se