Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 134.djvu/236

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les conséquences ministérielles de ses votes soient atténuées. Simple question de mesure, et aussi d’opportunité. Mais ce qu’on doit dire, c’est qu’une assemblée qui n’aurait pas, lorsqu’elle le voudrait, la possibilité de renverser un cabinet dépourvu de sa confiance, ne serait plus qu’une académie politique. Point de pouvoir réel sans une sanction effective. Il est bon que le Sénat renverse le moins de ministères possible, et qu’il laisse à la Chambre le soin de s’acquitter d’une fonction où elle montre d’ordinaire une si grande supériorité ; il faut toutefois qu’il puisse le faire, sinon il serait réduit à néant, et son autorité deviendrait bientôt purement nominale. Lorsque le Sénat émet la prétention de provoquer un changement de cabinet, la Chambre est tout d’abord tentée de croire qu’il empiète sur une de ses attributions propres, et une de celles qui lui sont le plus chères : à la réflexion, elle sent bien que le Sénat est dans son droit, et qu’il serait d’autant plus puéril de lui en contester l’exercice qu’il reste, en somme, toujours libre de refuser ses votes ultérieurs au ministère, et de le mettre par-là dans l’impossibilité, sinon de vivre, au moins de légiférer et de gouverner. Aussi les Chambres, même les plus ombrageuses et les plus jalouses, ne savent-elles aucun gré au gouvernement de soulever entre elles des conflits inextricables si on s’y obstine de part et d’autre, et dont la conséquence extrême serait la paralysie du corps politique. La Chambre à laquelle le gouvernement attribue tous les pouvoirs sait parfaitement bien qu’elle ne les a pas, qu’elle ne peut pas les accaparer et en user jusqu’au bout, et qu’on la conduit, de fausses victoires en fausses victoires, à un désastre final. Les contestations de ce genre n’ont d’issue que dans la révision, qui est presque toujours et qui serait aujourd’hui plus que jamais une aventure, ou dans la dissolution, qui est un remède très amer pour la Chambre, d’ailleurs incertain dans ses résultats, enfin le moins propre de tous à maintenir en faveur le médecin qui en rédige l’ordonnance, ou qui en rend l’emploi inévitable.

Il faudrait du moins, pour s’exposera de pareils inconvéniens, que les circonstances fussent tout à fait impératives. Si, par impossible, le Sénat avait adressé une provocation soit au gouvernement, soit à la Chambre, celle-ci aurait trouvé très juste qu’on la relevât : elle s’y serait même prêtée avec ardeur. Le Sénat n’a pas le droit de se mettre dans son tort. Issu indirectement du suffrage universel et représentant dans le jeu de nos institutions l’élément modérateur, il est en quelque sorte condamné à la sagesse et à la prudence. Le jour où ces qualités viendraient à lui manquer, nos institutions courraient le plus grand péril. Mais lui ont-elles fait défaut dans ces derniers temps ? S’est-il jeté étourdiment au milieu de la mêlée ? A-t-il soulevé des questions intempestives et déplacées ? Non, certes. Un grand scandale s’était produit dans le monde judiciaire. L’instruction d’une affaire