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dans l’urne du scrutin des bulletins blancs ou bleus qui portent ostensiblement leurs noms, il leur arrive assez souvent d’obéir à d’autres suggestions. Ils aperçoivent, on prend soin de leur montrer le spectre menaçant des comités électoraux. Jusqu’à quel point les radicaux et les socialistes peuvent-ils compter sur les sentimens de défaillance qui se développent avec une regrettable facilité dans l’air parlementaire, on le verra bientôt ; mais, dès maintenant, il est permis de croire, en ce qui concerne l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire la principale réforme annoncée à son de trompe par le ministère, que la majorité est définitivement fixée et qu’elle est hostile. Cela tient à tout un ensemble de causes qu’il nous reste à énumérer, en revenant à quelques jours en arrière.

Lorsque le cabinet radical, blessé à fond par le vote du Sénat, est venu soumettre sa cause à la Chambre des députés, qu’il a paru considérer comme un tribunal d’appel, il y a trouvé tout d’abord une majorité considérable, puisqu’elle s’est élevée à 93voix. Ce serait pourtant une erreur d’imaginer que la Chambre se soit prêtée de gaîté de cœur au rôle qu’on lui faisait jouer, et qu’elle ait été flattée d’être prise comme arbitre suprême entre le gouvernement et le Sénat. Tout le monde, au Palais-Bourbon, avait le sentiment que la situation était mauvaise, et qu’il suffisait de la moindre imprudence pour la rendre périlleuse. On a discuté beaucoup dans les journaux sur les droits respectifs de la Chambre et du Sénat, et sur le sens exact qu’il faut attribuer à l’article 6 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Cet article établit la responsabilité ministérielle à l’égard des deux assemblées et ne fait, à ce point de vue, aucune différence entre elles. En règle stricte, un ministère qui est mis en minorité par le Sénat doit se retirer tout aussi bien que lorsqu’il y est mis par la Chambre. S’il n’en a pas toujours été ainsi, cela est pourtant arrivé quelquefois, ce qui suffit pour établir le droit en principe et en fait. On cite des exemples de cabinets qui, frappés par un vote du Sénat, n’en ont pas moins continué de vivre ; il serait tout aussi facile de citer des exemples d’autres cabinets qui, mis en minorité à la Chambre sur un point spécial, et quelquefois même sur un point important, n’ont cependant pas donné leur démission, sans que personne y ait trouvé rien à reprendre. Il est même arrivé plus d’une fois que l’opinion ait reproché à un ministère d’avoir montré un amour-propre susceptible à l’excès, et de s’être retiré trop vite devant un vote désobligeant. La vérité est qu’il n’y a pas, et qu’il ne peut pas y avoir ici de règle absolue. Les votes parlementaires ont toujours une importance égale à l’intention qui les a dictés. Le même vote peut tuer un jour un ministère, et un autre jour l’effleurer à peine. Il est vrai aussi que, la plupart du temps, le Sénat ne se montre nullement désireux de renverser les cabinets, et qu’il accepte volontiers, pour exercer plus librement son droit de contrôle et de veto, que