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sélection naturelle et la concurrence vitale ; les nombreux changemens physiques produits à la surface du globe ont eu une action ; les microbes n’ont pas été sans importance, etc. Cependant on doit avouer que jusqu’à présent on connaît très peu les causes des transformations des êtres. Je ne saurais m’en occuper. La tâche que j’ai entreprise me paraît déjà assez difficile.

Lorsque les naturalistes croyaient les espèces immuables, indépendantes de celles qui les ont précédées, ils n’avaient pas à s’inquiéter de leur développement. Aujourd’hui, non seulement nous admettons les changemens des espèces, mais nous pensons que chacun de ces changemens a sa signification ; il représente un stade d’évolution, de sorte que par l’enchaînement des espèces des époques successives, nous parvenons à établir l’histoire des familles et des ordres comme celle d’un individu ; nous assistons à leur début, à leur enfance, à leur apogée, et quelquefois à leur déclin. Ainsi commençons-nous à entrevoir une grande synthèse se poursuivant depuis les anciens temps jusqu’à nos jours. La nature, bien loin d’être un composé d’êtres immobiles, échelonnés les uns au-dessus des autres dans des étages successifs, est un composé d’êtres toujours en mouvement. Un plan a dominé l’histoire du monde animé : la paléontologie est l’étude de ce plan.

Descartes admettait l’automatisme des bêtes, il pensait que Dieu les faisait mouvoir en agissant directement sur leurs organes. Leibnitz a substitué à cette théorie celle des forces, c’est-à-dire la dynamique ; il a supposé que si les animaux agissent, sentent ou raisonnent, ce n’est point par une intervention directe de Dieu, mais par le jeu des forces que Dieu a déposées dans ces animaux. Comme je l’ai déjà déclaré, je crois avec Leibniz que l’être animé est une force ou une réunion de forces. Les forces sont diverses ; il y en a qui s’exercent sans avoir besoin de matière, elles constituent les faits de raison pure ; il y en a qui s’emparent de portions de matière et s’en façonnent des organes.

Nous ne savons pas quelles ont été les premières forces vitales, puisque l’Archéen nous est peu connu et que le Cambrien, le plus ancien terrain bien étudié, renferme beaucoup de types déjà avancés. Mais à partir de l’époque cambrienne, nous pouvons suivre le développement des êtres et assurer que ce développement a été progressif.

En effet, nous avons dit qu’au début des temps primaires les animaux étaient petits, qu’ils n’étaient pas très nombreux, très différenciés comparativement à ceux des époques récentes. Ils n’avaient guère de sensibilité, puisque la plupart étaient enfermés