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contractée des terrains primaires n’ont pas dû avoir une natation rapide. C’est seulement durant la période jurassique que les genres voisins de nos seiches et de nos calmars se sont développés. Alcide d’Orbigny, dans son grand ouvrage sur l’Amérique méridionale, s’exprime ainsi au sujet des céphalopodes sans coquille externe : Est-il rien de plus élégant que la marche de certaines espèces qui, avec la vivacité d’une flèche, vont également en avant et en arrière, s’aida ni tour à tour de leurs bras ou de leurs nageoires terminales ? C’est probablement à l’aide de ce refoulement des eaux par 1rs bras que certaines espèces, comme les sépioteuthes et quelques ommastrèphes, ont la faculté de s’élancer à plus de dix ou quinze pieds au-dessus de la surface des eaux, de manière à tomber sur le pont de très gros navires. Certainement les bélemnites et les autres genres à corps nu ont eu une locomotion plus rapide que les céphalopodes primaires.

Les crustacés ont joui dès l’époque cambrienne de mouvemens libres, car les Paradoxides ont 21 segmens qui pouvaient jouer les uns sur les autres ; les derniers travaux faits sur les trilobites siluriens, par MM. Walcott, Matthew, Beecher, montrent que ces animaux avaient, outre leurs antennes et leurs pattes-mâchoires, un grand nombre d’appendices locomoteurs. Mais sans doute leurs successeurs les décapodes, dont la queue a de larges lames natatoires et dont les membres sont bien articulés, ont plus de force soit pour marcher, soit pour nager.

Les poissons osseux, qui, une fois privés de vie, sont peu attractifs au point de vue esthétique, sont curieux à voir à l’état vivant à cause de leur extrême vivacité. Gerbe, le très ingénieux embryogéniste, qui a fondé avec Coste le laboratoire de Concarneau, a quelquefois introduit devant moi des salicoques dans des cuves où vivaient des labres : c’est une chose incroyable que la rapidité des mouvemens des poissons qui poursuivent et des crustacés qui s’esquivent. Je pense que les temps primaires n’ont pas offert des scènes aussi animées, car les salicoques étaient encore rares, et les poissons, à leur début, n’avaient pas l’agilité qu’ils ont aujourd’hui.

Il y a plusieurs raisons pour que les poissons aient eu dans les anciens âges une locomotion moins parfaite que de nos jours. D’abord, les muscles du tronc, au moyen desquels les poissons actuels se meuvent beaucoup plus que par les membres, ne pouvaient avoir une grande force chez les genres primaires, puisque la notocorde, incomplètement ossifiée, ne leur fournissait qu’un faible appui. En second lieu, la cuirasse qui protégeait leurs corps devait gêner leurs mouvemens. Comme je me