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Vénétie n’aurait pas tardé à s’ajouter. » Et la conclusion, à laquelle il eût été difficile de faire une objection sérieuse, posait cet axiome :

« Dans le cas prévu par les premiers accords, on devait céder la Savoie et Nice pour le Lombard-Vénitien ; par le traité du 24 mars, on a cédé Nice et la Savoie pour toute l’Italie. » C’était donc bien « toute l’Italie » c’est-à-dire l’unité de l’Italie, qui justifiait l’abandon de Nice par les successeurs des anciens ducs de Savoie.


VII. — LA QUESTION DE NICE DANS SES RAPPORTS AVEC LA PERSONNALITÉ DU GÉNÉRAL GARIBALDI

Mais l’abandon de Nice avait un inconvénient très grave, un inconvénient d’un ordre qui, sans violer ni les règles de la politique, ni celles du droit, blessait un sentiment on ne peut plus respectable : Nice était la patrie de Garibaldi. Garibaldi, au moment où l’on cédait sa ville natale à la France, s’apprêtait à faire un dernier et héroïque effort en Sicile pour compléter l’unification de la patrie italienne. Et lui, qui dotait ainsi tous les Italiens d’une patrie grande et glorieuse, lui, seul entre eux tous, allait n’avoir pas de patrie !

À ce propos, le « roi galant homme » oubliait singulièrement le véritable état de la question, lorsqu’il envisageait sa situation personnelle par rapport à la Savoie comme équivalente à celle de Garibaldi par rapport à Nice. Garibaldi, en effet, avait adressé de Fino, où il se trouvait, le télégramme suivant au colonel Türr, à Turin :

« Mon cher colonel Türr,

« Veuillez avoir la complaisance de demander à S. M. si Elle est décidée à céder Nice à la France. Cette question m’est très chaudement posée par mes concitoyens.

« Répondez-moi de suite par télégraphe. Oui ou non ?

« G. GARIBALDI. »


Introduit dans la chambre à coucher du roi, qui était souffrant, le colonel Türr lui remit la dépêche du général. « Par télégraphe ! Oui ou non ? Très bien ! » s’écria Victor-Emmanuel. Puis, après une courte pause : « Eh ! bien, oui ! — Mais dites au général que ce n’est pas seulement Nice : la Savoie aussi. Et que, si je me résigne à abandonner le pays de mes ancêtres, de toute