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au nouvel état territorial de la péninsule. J’ai raconté dans le livre précité le double jeu de Napoléon III pour empêcher la réunion du congrès qui aurait dû statuer sur les stipulations de Zurich, et pour aboutir à ce que les populations de l’Italie centrale fussent admises à disposer elles-mêmes de leur sort. Le nœud de la question italienne était tout entier dans ce résultat. Comment fut-il obtenu ? En étudiant les documens du temps, on arrive facilement à le comprendre. Napoléon III avait voulu sincèrement la confédération italienne ; mais il fut vite rebuté par les difficultés que rencontraient les divisions territoriales qui devaient la composer.

Son penchant naturel le portait cependant à vouloir en tous cas le bien de l’Italie. « Tout souverain français qu’il était —, écrit Michelangelo Castelli dans ses Ricordi, — il avait le cœur d’un Italien. » Son entourage le plus intime était animé des mêmes sentimens : M. Mocquart, qui avait si utilement secondé M. de Cavour pendant le Congrès de Paris ; M. Pietri, qui, préfet de police, avait dû donner sa démission pour avoir, d’accord avec l’empereur, soutenu devant le Conseil privé l’opportunité de gracier Orsini ; le docteur Conneau, dont toute la correspondance dénote un amour passionné de l’indépendance italienne[1] ; le comte Benedetti, dont la nomination comme ministre de France à Turin est enregistrée par M. Bonfadini comme un événement heureux pour l’Italie dû à l’influence du comte Arese ; tout le groupe des Corses influons, les Abbatucci, les Casabianca, les Baciocchi, que leur simple qualité de Corses porte le même auteur à considérer comme à moitié Italiens, — mezzi Italiani[2] le vicomte de La Guéronnière, auteur de ces brochures si claires, si démonstratives, dans lesquelles la politique italophile de la cour des Tuileries était exposée avec tant de netteté ; Prosper Mérimée, qui entretenait avec Panizzi une correspondance suivie, remplissant deux gros volumes, à chaque page desquels l’élégant

  1. Voir dans la Vita di Francesco Arese, par R. Bonfadini, toute la correspondance de M. Conneau avec le comte Arese, entre autres la lettre du 25 mars 1860, écrite en très pur italien, et qui se termine ainsi : « Que ne pourront la France et l’Italie, si cette dernière, organisée et forte, est une loyale et fidèle alliée ? Vous autres, sans la France, vous ne serez jamais ni forts ni prospères ; avec la France, non seulement vous serez l’un et l’autre, mais vous serez aussi pour la France un élément de force et de sécurité. Quant à moi, je ne serai content que lorsque je verrai toutes les races latines unies et confédérées. Ç’a toujours été le songe de ma vie et je suis heureux de voir un si beau songe se réaliser par celui auquel me lient trente ans d’affectueux contact. » Hélas ! ces beaux rêves d’union de la famille latine devaient bientôt être dissipés par l’intervention néfaste de la famille anglo-germanique dans les affaires des deux nations sœurs !
  2. Bonfadini, Vita di Francesco Arese, p. 292.