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territoire italien, règne et gouverne moralement d’une extrémité à l’autre de l’Italie ? Mais c’est là un côté spécial de la question italienne que je n’ai pas à développer ici.

Je reprends donc le fil de mon sujet au point où l’avait laissé la courte parenthèse qui précède. Je disais que Henri IV avait voulu l’Italie indépendante de l’Autriche ; mais ni lui ni Sully ne voulaient la France dépendante de l’Italie qu’il s’agissait de rendre libre. Ils ne voulaient pas que cette Italie régénérée et susceptible de devenir l’une des forces européennes avec lesquelles il aurait fallu désormais compter, fût maîtresse, en France, par un point quelconque de territoire français ; et pour l’en empêcher, ils disaient au duc de Savoie : « A vous le Milanais ou toutes autres terres italiennes qu’il nous sera possible de vous aider à vous annexer ; à nous la Savoie et Nice. » En d’autres termes : « A nous la sécurité de nos frontières. » Et le duc de Savoie accordait sans une ombre d’hésitation les cessions qui lui étaient demandées pour prix de ses agrandissemens projetés[1]. Et Elisabeth d’Angleterre[2], dont ses successeurs actuels ont si peu suivi les idées à cet égard, souscrivait volontiers à ces arrangemens en ce qui la concernait[3].

Le couteau de Ravaillac abattit du même coup et le Béarnais et « le grand dessein » destiné à donner à l’Europe une assiette plus stable et plus pacifique. Mais « le grand dessein » devait revivre entre les mains des héritiers de la politique de Henri IV et de Sully. Richelieu ne tarda pas à le reprendre : son traité avec Venise (3 mars 1629) vise l’établissement en Italie « d’une ligue où tous les États réunis garantiraient à chacun son intégrité et se promettraient secours et assistance en cas d’attaque de quelque part qu’elle soit. » Déjà, dans son mémoire adressé au roi le 5 mai 1625, le grand cardinal avait dit : « Devenus sages à nos dépens, nous avons dès lors trouvé le vrai secret des affaires d’Italie, qui est : dépouiller le roi d’Espagne, — c’est-à-dire la maison d’Autriche, — de ce qu’il y tient, mais pour en revêtir les princes et potentats d’Italie, lesquels, par l’intérêt de leur propre

  1. Charles Mercier de Lacombe : Henri IV et sa politique, p. 401. Voir aussi Henri Martin, Histoire de France, t. X, p. 559 et suiv.
  2. Hume, Histoire d’Angleterre, t. IV, p. 388 et suiv.
  3. Nicomède Bianchi, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. VIII, p. 262, où il est établi aussi que, même en 1733, l’Angleterre, lors des arrangemens pris pour le règlement de la succession d’Espagne, adhérait pour la seconde fois à l’acquisition de la Savoie et de Nice par la France. Voir également le traité de partage conclu le 17 mars 1700 entre la France, l’Angleterre et la Hollande, traité dans lequel était visée l’éventualité de donner le Milanais au duc de Savoie, à la condition qu’il céderait à la France la Savoie et le comté de Nice. (Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1860. )