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exacte de la communauté d’origine des deux langues, il suffit de remonter jusqu’au langage que l’on parlait en France au IXe siècle, et dont nous avons une trace frappante dans le serment prononcé par Louis le Germanique devant les soldats de Charles le Chauve. C’est un mauvais latin semé de mots italiens et de désinences italiennes. Un autre document d’une date postérieure nous montre de son côté l’inclinaison suivie par le langage primitif des Français vers la formation de la langue française proprement dite. C’est le Pater écrit dans la langue romane, parlée au nord de la Loire vers le XIe siècle. Ici le latin s’efface ; nous sommes en présence d’un jargon ressemblant beaucoup aux divers patois actuels de l’Italie septentrionale et que la plupart des Lombards peuvent parfaitement comprendre. Vouloir faire de la question de Nice une question de linguistique serait donc risquer de n’aboutir qu’à la confusion des langues.

Au surplus, que le dialecte niçois ne fût pas de l’italien, nous en avons une preuve concluante dans une de ces saillies spirituelles dont la discussion de M. Cavour au Parlement subalpin était souvent émaillée. C’était à la séance du 26 mai 1860 ; on discutait le traité de cession de Nice et de la Savoie. Le député Bottero[1] le combattait passionnément, s’appuyant sur l’argument des origines et de la langue de la population niçoise. L’illustre homme d’Etat, dans sa réplique, n’admettait pas que Nice fût de langue italienne ; entre autres preuves à l’appui de son opinion sur ce point, il citait les noms de divers députés niçois qui, à la Chambre, ne s’étaient jamais exprimés qu’en français ; et il ajoutait très malicieusement : « L’honorable M. Bottero, à dire vrai, s’exprime en italien, mais quand il m’amena une délégation de Niçois il dut me les présenter en français. On me dira : Phénomène naturel dans les confins. Croyez-vous que s’il nous venait des délégués du haut Frioul, ils nous parleraient en allemand ? »

Et d’ailleurs, il y a, en fait d’agglomérations nationales, un principe qui domine tous les autres, sans en excepter celui des origines et de la langue : c’est le principe du consentement des populations. Or les Niçois ont prouvé par leur vote qu’ils voulaient cesser d’être Piémontais pour devenir Français. Laissons donc de côté la nationalité de Nice, question que je traiterai en temps et lieu opportuns avec toute l’ampleur nécessaire.

  1. M. Bottero, fondateur de la Gazzetta del Popolo, dont il est encore directeur aujourd’hui, est demeuré fidèle à ses rancunes d’il y a trente-cinq ans. C’est peut-être, de tous les publicistes italiens, celui qui poursuit la France de la haine la plus profonde et la plus tenace.